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2.21.2012

Nuit #1 - Anne Émond

Distances et attractions

Clara et Nikolai se rencontrent dans un rave. Ils se rendent chez lui et font l’amour, impatients, dès que la porte de l’appartement se referme. Ils s’arrêtent après un moment; elle doit utiliser les toilettes. Elle se voit dans le miroir. Ils reprennent et elle ne jouit pas. Ce n’est pas grave, lui dit-elle.

Suit alors une série de monologues déclamés sur le ton propre au partage de l’intimité. Le dialogue affecté des deux amants tient tant du fait qu’ils ne se connaissent que depuis quelques heures qu’à la théâtralité appuyée de la mise en scène. Les performances orales s’alignent, ponctuées d’interactions brèves, comme un montage de témoignages vidéo qui montre l’individu par rapport à lui-même, incertain d’être entendu.

S’ils ne s’entendent pas, leurs corps se sont vus et touchés dans une première scène presque muette d’une remarquable et véritable intimité. Ils seront pourtant incapables de trouver le souffle d’âme qui leur évitera de briser, de leurs discours maniérés, leur relation naissante. Anne Émond cadre avec sincérité le théâtre des distances et fait du cinéma un spectacle stylisé.

Les enfants récitant des poésies en fin de film recentrent le film sur une parole portant une culture, propice au rapprochement, plutôt que sur des mots, agents de l’isolement.

8.04.2010

Inception - Christopher Nolan



Malgré les comparaisons faciles avec d’autres films de science-fiction (comme Existenz, entre autres), le film de Nolan a le grand mérite de l’originalité. Le récit, d’abord très simple – un homme doit en convaincre un autre de renoncer à une de ses convictions les plus profondes – est enrichi par la mise en place d’un cadre d’action inédit (oui) – le premier homme arrive à pénétrer dans l’esprit des autres par l’entremise de leurs rêves. Ce contexte narratif reste à être entièrement décrit, défini et délimité et c’est à la fois le point fort et le point faible de Inception.

Autant d’audace imaginative a donc un prix pouvant être gênant : la lourdeur des définitions de cet espace inexploré qu’est le rêve. Il ne faut pas se méprendre, Inception offre des scènes et des revirements ayant autant de cran que de grâce. Une scène de combat entre deux hommes, dans le couloir d’un hôtel, devant composer avec la gravité tournoyante du camion chahuté dans lequel ils rêvent leur lutte, est très captivante.
L’intrigue entourant la manière avec laquelle ils vont convaincre Robert Fisher Jr d’abandonner l’empire énergétique de son père mourant est d’ailleurs tout aussi géniale que touchante : il ne vont pas simplement tenter de lui implanter l’idée propre de dilapider le travail gigantesque de son père mais plutôt lui suggérer que c’est ce que sont père aurait voulu qu’il fasse.
Ce qui chicote, c’est qu’on nous laisse trop souvent deviner ce qu’il y a de génial à cette conception des rêves, sans aller aussi loin que c’eut été possible, sans prendre le temps le montrer, c’est-à-dire, sans utiliser le médium cinéma – de manière classique ou numérique.
La section la plus intéressante au niveau de la construction narrative est à cet effet tombée à plat. Sans entrer dans les détails, cette section se déroule en quatre niveaux de rêves superposés, permettant l’élaboration pour Nolan d’un montage parallèle de quatre espaces-temps différents, mais dépendants l’un de l’autre de par les propriétés des rêves élaborées dans le film. Il s’agit d’une occasion en or pour développer sur les possibilités narratives, philosophiques et esthétiques de cette contorsion spatio-temporelle. Si certaines scènes fortes en ressortent (la lutte dans le couloir d’hôtel), on arrive à un point de saturation. On assiste au déroulement des quatre niveaux de rêves simultanément sans qu’ils participent vraiment, par les effets de leur interdépendance, à la suite du récit. Tout le monde se tire dessus, tout s’écroule ou explose, en boucle, jusqu’à ce qu’on arrive à dénouer l’ultime intrigue.
Que ce soit une question de limite de temps – le film dure 2h30 – ou de réelle volonté, le réalisateur a préféré mettre l’emphase sur les mécanismes même qui permettent au spectateur de penser le film, de faire des liens, de projeter les actions à venir des personnages, de les vérifier avec ce qui se déroule à l’écran et de lancer de nouvelles projections narratives, et ainsi de suite jusqu’au générique – et un peu plus. C’est aussi le même mécanisme qui gère l’univers des rêves de Inception. Le personnage de DiCaprio en fait d’ailleurs un schéma très simple – justement parce qu’il est à la base du processus de compréhension humaine – et qu’on peu comparer au cercle heuristique décrit par Bernard Perron.

[De la sorte, le spectateur prend entièrement part à la partie-jeu filmique parce que le système de règles du cinéma s’apparente à un cercle heuristique. » (Perron 1997, p.222)]

Nolan met tellement d’emphase sur ce processus percepto-cognitif qu’il précipite tous les débouchés narratifs, philosophiques et esthétiques originaux et réduit son film à un casse-tête époustouflant mais peu satisfaisant.
L’intérêt du spectateur se voit contraint à vérifier que tous les éléments du puzzle concordent. À cet effet, Nolan fait une démonstration de maître. Il avait déjà livré une tentative semblable – décevante – avec The Prestige. Mais encore une fois, il n’en reste que trop peu à la sortie de la salle. Les spectateurs en sortant de la salle étaient beaucoup plus préoccupés – et on ne leur fait pas de reproches – à s’assurer de l’absence de failles dans la trame narrative que de s’émerveiller – ou même de méditer – devant les possibilités fuyantes – presque absentes, en bout de ligne – de la conception de Nolan des mécanismes de la pensée et des rêves humains.



4.25.2010

Sur la critique

Nouvelle plateforme web, pour le magazine Panorama. Nouvelle initiative : un podcast. Premier sujet très intéressant : l’état de la critique. À écouter.

La définition de la fonction de la critique y reste toujours insaisissable. Marcel Jean arrive à relever un élément de définition concret. Il parle de la légitimité du cinéma qui se manifeste d’abord par le discours critique (le cinéma comme attraction de foire devient un art, les films d’Hitchcock et Hawk deviennent œuvres de grands auteurs). Un cinéma légitime, c’est un média qui se donne le droit d’exister au-delà de la salle obscure. Aussi, la critique, le commentaire réfléchi sur le cinéma, participe au cinéma, le fait, autant que le film se fait en images et en sons. Barthes écrivait, dans Système de la mode, que la mode - telle qu’il pouvait l’analyser sémiologiquement, et telle qu’il su ensuite qu’elle s’incarnait d’abord et vraiment - se retrouvait sous la forme écrite.

12.27.2009

Where the wild things are - Spike Jonze


Le dernier film de Spike Jonze permet – comme rarement auparavant – une immersion totale du spectateur. À l’ère des grands déploiements numériques peu de cinéastes arrivent à tirer une vision cohérente et constructive des nouvelles technologies que peut s’offrir le cinéma du 21e siècle – pensons aux films récents de Burton, Gilliam et Coppola, pour ne s’en tenir qu’au plus connus. Jonze propose toutefois une œuvre fraichement originale et en plus, au contraire des autres réalisateurs cités, d’une sincérité gracieuse, enlevante. L’éclat des prouesses numériques n’y est en aucun cas en vedette. La carcasse numérique n’a pas été abandonnée sur l’écran sans être animée d’une personnalité concrète – au contraire d’Avatar, film aussi immersif, sorti la même date en France. Le tout est sous-tendu par un discours double sur la connaissance de soi et le désir de maîtrise de soi-même – ce « soi » pouvant tout autant être celui d’un petit garçon – Max – que celui du cinéma numérique.

Les effets numériques sont admirables, pas révolutionnaires dans leur rendu technique mais présentés d’une manière peu commune. Ils ne sont pas le clou du spectacle. Ce qui leur permet de passer presque inaperçus est le maniement à l’épaule de la caméra. L’accent est ainsi posé sur une idée fugitive du réel : la mise au point n’est pas toujours nette et les difficultés parfois apparente à suivre les sujets. L’image n’est pas complètement travaillée ni détaillée comme nous y ont habitués les films numériques à grand déploiement – l’exception de Cloverfield nous traverse par contre l’esprit. Les prouesses des effets spéciaux sont d’ailleurs présentées de manière tout à fait originale et humble. Les monstres n’ont pas de pouvoirs spéciaux leur permettant de faire des actions extraordinaires – lire : possibles qu’avec des effets numériques. Ils sont plutôt des bêtes sauvages qui se jettent l’une sur l’autre, se cognent contre les arbres ou se fracassent contre des parois rocheuses. Le travail d’effets spéciaux et de création d’un univers nouveau est modeste, prudent et parfaitement maîtrisé. Les créateurs se sont bien appliqués à développer ce qu’on semble laisser trop souvent de côté : les corps. Comme pour se débarrasser de tout superflu et arriver au meilleur résultat en tentant de maîtriser ces nouvelles technologies numérique. Tous les personnages évoluent dans un décor réaliste – une sorte de forêt, la mer, un désert parfois – mais ils sont pour leur part extrêmement originaux : on a rarement vu de tels monstres au cinéma.

Ce qui contribue d’abord à la réussite de ces créatures numériques est d’abord la qualité de leur personnalité et de leur psychologie. Encore une fois, ils ont été pensés avec retenue et efficacité. Chaque monstre représente une facette émotive humaine isolée. Au lieu d’ambitionner à créer une culture entièrement différente à ces personnages – et de risquer de tomber dans le piège d’un exotisme conventionnel, ils se rattachent à des formes humaines d’émotions, poussées à leurs paroxysmes. S’ils ont des corps presque entièrement inattendus – leurs visages sont humains : vecteurs des émotions – leur personnalités rappellent justement que le point de référence de ces inventions imaginaires restera toujours l’homme. Et ce point d’appui permet justement de reconfigurer, comme il l’est fait avec leur physique, les contours de notre squelette émotionnel. Le propos du film tient justement dans se rapport entre les corps et les émotions : ces dernières apparaissent comme des monstres à diriger de force – par le mensonge et la croyance entre autres – alors qu’elle n’ont cette apparence effrayante et étrangère que parce que justement on ne veut pas les percevoir comme humaines.

Le périple de Max prend donc la forme d’une fable sur la reconnaissance de ses propres émotions et sur la manière de les maîtriser. De la même manière, le film se pose comme un travail semblable d’exploration des possibilités des effets d’animation numérique et de la manière de les faire prendre l’espace qui leur convient sur l’écran. Rien ne sert de les prendre d’assaut ou de les faire mentir – les effets spéciaux sont autant faits pour recréer le réel que Max est le roi de tous ces monstres, ils ont une place qui reste à déterminer et ils faut les comprendre pour qu’ils s’expriment à leur meilleur. 

22h00 - 22.12.09 - MK2 Odéon - Paris

12.25.2009

Avatar - James Cameron


On a entendu parler du nouveau film de James Cameron pour ce qu’il aurait de révolutionnaire, bien avant d’en connaître le récit ni même avant d’avoir une idée de ce qu’il aurait de si exceptionnel dans son contenu ou dans sa forme. On nous parlait d’un film révolutionnaire, transformant le système d’exploitation et de diffusion du cinéma bien avant d’envisager qu’il modifie la face des films hollywoodiens. Avatar ne devait être projeté en salle que sur support numérique – aucune copie 35mm. Si les exploitants de salles de cinéma ne voulaient pas passer à côté du succès qu’on leur promettait avec le dernier blockbuster de Cameron, il fallait qu’ils s’équipent en équipement de projection numérique. Mais le plan initial est tombé à l’eau – la grande vague de rééquipement n’a pas eu lieu.

Le réflexe face à une telle ambition a été de faire de ce film une démonstration spectaculaire des moyens technologiques et numériques qu’a acquis le cinéma hollywoodien. Le prix à payer : la faiblesse du récit ou du moins d’une cohérence cinématographique. Le squelette narratif se retrouve bien tracé mais comme sectionné de passages spectaculaires et même carrément digéré d’avance. Une forme faible de récit doit être présente pour conserver une idée de progression – qui a constitué l’attribut majeur du premier siècle du cinéma – mais est tout de même clairement mise à mal : elle n’est plus importante. Signe d’un cinéma en mutation? Certainement. Aboutissement d’une révolution du cinéma? Loin de là : on n’en est qu’à ses premiers barbouillages.

L’effet d’immersion - la projection 3D est nécessaire pour en saisir toute l'ampleur, la qualité technique des effets spéciaux, en présence autoritaire, et l’originalité de la création d’une esthétique originale sont tous excellemment réussi. Et la faiblesse du récit n’est jamais regretté : le spectacle cinématographique fait largement le travail pour captiver le spectateur. Comme aux premiers temps du septième art, l’intérêt d’aller voir ce film réside justement dans la curiosité du dispositif et l’émerveillement qu’il peut procurer. On assiste réellement à la démonstration de nouvelles évolutions technologique comme on le faisait avec le cinématographe à l’origine.

La réaction du public lors de la projection à laquelle j’ai assistée en était d’ailleurs une preuve concrète : tous ont applaudi à l’apparition du générique sur l’écran. Une autre réaction commune de l’assistance fût des rires nerveux lors de scènes amoureuse entre deux des extraterrestres – les Na’vi – qui mettait en lumière une faiblesse du rendu crédible d’une création totale d’un peuple et d’un monde sur écran.

Il ne suffit pas – c’est ce que ce film permet de comprendre – de donner à ces Na’vi une apparence et un monde parfaitement détaillés et crédibles visuellement pour que l’artifice fonctionne. Les extraterrestres de James Cameron manquent terriblement de personnalités et de culture. Tous les clichés des peuples primitifs s’y retrouvent. Ils se déplacent et crient comme des animaux sauvages, vivent dans une jungle et parlent une langue gutturale. La trame musicale offre un mélange parfois trop appuyé de musique occidentale – lire humaine – et de musique tribale avec percussions africaines, associée aux Na’vi.

Avatar laisse entrevoir un retour vers un spectateur des premiers temps : émerveillé plutôt qu’éveillé. Le problème de la crédibilité des Na’vi et de leur monde – visuellement réussis, culturellement absolument pas originaux –  permet par contre de mettre en lumière un questionnement qui est propre au cinéma numérique : doit-il s’affirmer comme spectacle technologique ou plutôt s’efforcer d’utiliser ses attributs nouveaux pour créer une matière cinématographique réellement neuve et mutée?

Projection de 21h10 au MK2 Quai de Scène le 20.12.9 - Paris.

+ 4.2.10 :

À LIRE: Le cinéma total selon James Cameron

Du cinématographe

"Après donc avoir analysé la technologie de la reproduction mécanisée du réel en une image photographique, Bazin nous souligne que ce simple réalisme de l’image, cette ontologie, n’est pas, en soi, un art; il faut encore qu’il y ait quelque chose à exprimer, à communiquer. Il y a un langage supposé et permis par cette ontologie qu’il faut honorer de par ses propositions esthétiques (ou plutôt éthiques)." LIRE EN ENTIER

11.14.2009

Les herbes folles . Alain Resnais


Mais d’où viennent ces herbes folles se faufilant en touffes entre les fissures des pavés? Pourquoi là et pas dans un pré? C’est cette même douce aberration qui nous prend face à l’histoire de Georges Palet, histoire qui naît lorsqu’il trouve, par hasard, le portefeuille ayant été dérobé à Marguerite Muir à sa sortie d’une boutique de chaussures. Histoire qui s’enracine, tenace mais incongrue, avec l’insistance irrationnelle qui pousse – et repousse – l’un et l’autre à se retrouver.

L’origine de leur rapport est due au hasard et pourtant les deux personnages semblent le vivre comme un appel du destin. Mais cet appel est constamment contrarié. Palet ne peut s’empêcher de la plus grande rudesse, de la plus incompréhensible impertinence lorsqu’il se sent pris sur le fait de la désirer. Muir n’est jamais là : c’est par son répondeur, sa boîte aux lettre, sa voisine ou son amie qu’il communique avec elle. Elle joue le rôle – hypocrite ? – de la sage amie lorsqu’elle comprend que Palet est marié. Autant d’obstacles qui ne découragent pas leurs instincts à transformer ce hasard en une chance, celle de la rencontre passionnelle de leurs destins.

Les personnages du film de Resnais ont cette certitude inconsciente que les être humains sont munis d’un destin flamboyant, comme au cinéma. Aussi, quand Palet trouve un portefeuille égaré, une trame sonore tendue, propre au suspense cinématographique, se fait entendre et laisse envisager une suite à venir de péripéties et revirements époustouflants. Il ne s’agira pourtant que d’un événement commun, pas quotidien mais tout de même pas si étonnant, qui se réglera en toute honnêteté, sans surprises. Il annonce un destin qui n’est pas aussi impressionnant que celui des héros de cinéma mais tout aussi important et grave pour ce personnage.

L’histoire est banale, tout dépendant du point de vue : les mobiles des personnages sont si syncopés et éparpillés dans tous les sens, les façons elliptique et hirsute qu’ils ont d’occuper leur monde laissent tout le loisir, à ceux qui voudront s’y perdre, de leur inventer des passés et des futurs héroïques. Mais justement, l’intérêt est de sentir que la petite vie de ces personnages est vécue comme au cinéma, à la légère mais avec un tel sérieux, une telle propension au fatal destin. Et on y croit, au poids de leurs existences, comme à la nôtre, par extension. Et on entend toujours le musique de suspense en nous voyant, à vol d’avion, sortir du cinéma, à ce demander quel mystère nous attend, « … qu’est-ce que je vais faire cet après-midi? ».

11.13.2009

The Imaginarium of Dr. Parnassus . Terry Gilliam


Terry Gilliam est de retour avec sa foi au pouvoir de l’imagination dans son dernier long-métrage. Même fouillis habituel, il ne s’agit pas d’une révélation lumineuse mais plutôt d’un grand spectacle clair-obscur. Après avoir prouvé au diable que les histoires faisaient tourner le monde, le docteur Parnassus obtient la vie éternelle et doit alors vivre avec le poids de perpétuer ces histoires essentielles. Le diable lui lance sans arrêt des paris pour le contredire et il en vient à mettre sa fille en gage. Si Gilliam rapporte justement le pouvoir des histoires et de l’imagination au caractère sacrées qu’elles ont toujours eue pour l’homme – tout en évitant les traditions chrétiennes par un grand détour par une mythologie orientaliste – il reste que son propre film délaisse le soin de se raconter intelligiblement pour celui d’assurer un pur délire imaginatif.

Côté imagination : mission accomplie. Surtout pour ce qui est de l’utilisation des technologies de modélisation par ordinateur. L’univers du docteur Parnassus est très semblable à l’aventurier baron Munchausen que Gilliam a porté à l’écran il y plus de vingt ans : pur génie d’imagination pris pour le pire des charlatanismes. Les deux films se rejoignent aussi sur leur utilisation un peu décalée des effets spéciaux : si le baron évoluait dans des décors cartonnés grandioses mais bidons, le monde imaginaire du docteur est fait de modélisation numérique éclatée et tout aussi bidon. Peut-être le dernier film de Gilliam recevra le même accueil tiède que celui du baron Munchausen, pure aberration dans la décennie de l’explosion des effets spéciaux. Pourtant, l’Imaginarium se place parmis les films les plus inventifs en ce concerne l’utilisation des effets spéciaux numériques, aux côtés des deux derniers films de Tim Burton (Charlie and the Chocolate Factory et Sweeney Todd) entre autres.

Beaucoup pour les yeux, mais très peu pour une vision claire de ce nouveau cinéma numérique à venir. Trop peu pour y voir une solution donc. Le film de Gilliam reste dans un entre-deux, ne laisse qu’imaginer.

Le plus impressionnant effet spécial du film reste par contre la littérale ressuscitation de Heath Ledger : il apparaît pour la première fois à l’écran mort pendu – ne l’avait-on pas aussi laissé pendu à la fin de The Dark Knight ? – pour être réanimé par la troupe de saltimbanques du docteur Parnassus. Était-ce prévu par le réalisateur? Peu importe, l’effet d’outre-tombe est sidérant.

 

 

11.11.2009

Irène . Alain Cavalier


Alain Cavalier se pose en explorateur dans son dernier film. Explorateur de ses propres souvenirs de sa femme décédée lors d’un accident de voiture plus de 35 ans auparavant. Que ce soit par le biais de du journal qu’il a tenu les deux années avant le drame ou dans les lieux qu’ils ont habités ensemble, le film est un long processus de recherche de ce temps perdu, celui vécu comme celui qui n’a pu l’être. 

Alain Cavalier est un explorateur du processus de fabrication d’un film. Caméra vidéo à la main, il se présente seul aux spectateurs. Il chuchote le défilement de ses pensées, des passages de son journal, des descriptions des lieux qu’il nous fait visiter et les rapports d’événements du passé. Son film sur Irène, il en parle comme d’un autre film que celui auquel on assiste. Il se demande à plusieurs reprises s’il ne devrait pas le laisser tomber, changer d’angle d’approche. Nous assistons aussi à des révélations. L’enthousiasme est vivement ressenti lorsqu’ nous parle de sa naissance et de l’avortement d’Irène à l’aide d’une pastèque, un œuf et une pince de cuisine. C’est une libération plutôt qu’un réel ressentiment qui surgit finalement lorsqu’il trace les traits plus sombres du portrait de sa femme – il lit dans son journal : « Ne peut-elle pas simplement mourir? » – puisqu’ils se révèlent, autant pour le réalisateur que pour les spectateurs, être les traits les plus sensibles et les plus humains, les plus appréciables, de cette femme disparue. À trop vouloir s’en rappeler en bien, le personnage d’Irène devient intangible, inintelligible – infilmable, comme s’en rend compte Alain Cavalier – et sa disparition ne fait que devenir plus insoutenable. Et le plus cruel du souvenir d’un être disparu apparaît en même temps comme un soulagement : on ne voudrait pas se remémorer les côtés sombres du défunt, en garder un portrait intact, mais la perte est plus tolérable lorsqu’on les tient en compte. C’est ce portrait final, que ni lui ni le spectateur pouvait envisager au début de la projection, qui fini par faire d’Irène, sans l’ombre d’un doute maintenant, un film, un vrai.

Alain Cavalier est aussi explorateur de l’intimité comme fonction propre au cinéma. Il se rend aux confins des possibilités de cette forme d’art paradoxale : à la fois média de masse et œuvre en lien direct, unique et privilégié avec son spectateur. Son film est en danger tout au long de la projection, non seulement par ses propres tentations de tout abandonner mais surtout parce qu’il risque à tout moment de ne rester que des traces vidéographiques éparses telles une vidéo rapportant des vacances familiales. Ce genre de vidéo nécessite un commentaire du vidéaste, faisant le lien entre les images et avec les spectateurs. C’est précisément ce que fait Alain Cavalier en voix off, révélant un mécanisme somme toute propre à tout film : outre le fait de montrer en image, il faut aussi que le film se raconte au spectateur. Il se raconte normalement sans se dévoiler, en laissant au spectateur l’impression qu’il participe à la construction du film. C’est dans cette limite entre le dévoilement du boniment du réalisateur et l’espace laissé au spectateur pour participer à la construction du personnage d’Irène que ce situe tout le danger du film et l’agilité et la grâce d’Alain Cavalier.

10.25.2009

Antichrist . Lars Von Trier



D’une beauté formelle sidérante, le film de Lars Von Trier fait vivre toute la colère du cinéaste avec autorité. Expérience physique et mentale de haute intensité. Satire excellemment exécutée du genre filmique de l’horreur, Antichrist s’enfonce d’abord tout en profondeur dans les méandres des identités sexuelles. Elle (Charlotte Gainsbourg) tombe dans un profond et douloureux deuil suite à la mort accidentel de son enfant. Son mari (Willem Dafoe), psychothérapeute de profession, prend en charge sa guérison. Être d’une rationalité fondamentale, il tente de retracer la source du mal de sa femme, y voyant d’abord de simples symptômes du deuil de leur enfant, ensuite un trouble plus enfoui relié à la nature et la forêt où ils possèdent un abris et puis une psychose entourant la chasse aux sorcières (elle croit que les femmes sont effectivement à l’origine du mal). Elle se laisse tout d’abord aller à une soumission docile à la thérapie dominatrice de son mari ou à un combat tourmenté contre ses propres croyances misogynes. Mais elle n’arrive pas à trouver sa place dans le monde rationnel de son mari qui lui fait croire à sa libération de l’oppression masculine dans un cadre qu’il lui impose qui est des plus oppressants. Elle se fait alors pur mal, incarnant le seul rôle qui ait été identifié aux femmes, celui de Satan, que c’ait été comme objet de l’oppression masculine ou comme celui de l’Église. Évidemment, l’affirmation ainsi faîte est des plus absurdes et c’est à ce niveau que les accusations de misogynies ont fusées contre le cinéaste.

On ne peut porter de tels réprimandes qu’en prenant le film au premier degré, en étant aveugle à la satire du film d’horreur qui nous ait livrée. Plusieurs éléments de la mise en scène se posent comme fonctions satyriques. La musique pompeuse et les images noir et blanc au ralenti des prologue et épilogue sont des plus risibles. Origine et conclusion du récit sont les signes les plus flagrants de la position autocritique du film. Les animaux icônes des trois mendiants structurant l’histoire sont si visiblement animés par ordinateur qu’il n’est pas étonnant de voir le réalisateur les tourner d’autant plus au ridicule lorsque le renard prononce : « Chaos reigns » d’une voix d’outre-tombe. La bande son vrombissante, clairement associée aux segments qui se veulent typiquement horribles révèle clairement les mécanismes du genre caricaturé. Toute cette dynamique dichotomique opposant homme et femme comme on oppose bien et mal est sans doute tournée au ridicule.

Le film ne s’annule pas pour autant, ne devient pas qu’un film d’horreur insipide et de mauvais goût. Le propos est détourné vers un problème plus profond : la division biologique binaire des humains. La scène de l’excision qu’elle se perpètre elle-même en est le point culminant. Possédant la même fonction satirique du genre de l’horreur, le gros plan sur le clitoris sectionné est si grossier qu’il tourne à l’absurde la simple idée qui passe par la tête de la femme : qu’en se débarrassant de son attrait sexuel la déterminant femelle elle pourrait du même coup rejeter tout le cadre restreignant imposé aux femmes, se libérée du mal qu’elle se sent soumise à incarner. En gros, Antichrist se pose comme un espace-temps où se déchaine toute l’horreur, et son absurdité, de la division des sexes qui gère toujours nos sociétés. Il n’y est pas question spécifiquement de la condition des femmes, ni de celles des hommes, mais il s’agit plutôt du constat cynique et enragé de l’absurdité de la division des sexes. Ce qui est le plus troublant et choquant du film de Lars von Trier ne sont pas les scènes explicites et le sujet à premier abord simpliste et misogyne mais bien le ton sincèrement colérique et le constat de la soumission des êtres humains à un bête système binaire qui leur refuse la liberté auquel ils croient tendre.

 

Pour une interprétation de la dédicace à Andrei Tarkovsky faite à la fin du film et une analyse théologique plus complète du film, je vous suggère la lecture de Antichrist : the visual theology of Lars Von Trier de Tina Beattie sur opendemocraty.net.




10.24.2009

Fish Tank . Andrea Arnold


Mia est une enfant insoumise. Sa famille, et celle de plusieurs de ses camarades de classe, ses voisins, n’arrivent pas à la faire plier aux attentes de la « bonne vie » en société puisqu’ils en sont eux-mêmes incapables. Les seuls moments où elle se soumet à un code de conduite sont lorsqu’elle s’entraîne à la danse hip-hop. Ses mouvements sont largement emprunté à quelque vedette qu’elle admire, toujours les mêmes, avec quelques variations. Elle les exécute avec confiance mais avec engourdissement et rudesse. Ces chorégraphies sont comme un cadre supplémentaire avec lequel elle se débat pour arriver à s’y conformer.

La danse se montrera pourtant incapable de permettre à Mia de trouver un moyen de se réaliser, tout comme Connor, le copain de sa mère, n’y arrivera pas malgré toute l’admiration qu’elle lui porte. Les deux supports qu’elle trouve en eux ne resteront pas que chimères. Ils se réaliseront en horribles confirmations de l’étanchéité du monde sous-classé dans lequel elle vit.

Fish Tank arrive à capter, au-delà du réel d’un milieu défavorisé, les mécanismes sociaux fonctionnels pour certains et oppressants pour d’autres. Les scènes de danses qui se répètent au cours de films en sont des représentations des plus complexes, complètes et touchantes. Mais, plus qu’un simple regard observateur, le film et sa mise en scène nous mène au confins de la pensée de Mia, se débattant comme elle peut avec le monde qu’elle vit, à l’aide de traits poétiques transcendants (les scènes du cheval enchaîné ou de l’enlèvement de la fille de Connor par exemple).  

10.10.2009

Réplique


Marc-André Lussier, chroniqueur cinéma de La Presse, se prononce sur l’article Mortes tous les après-midis d’André Habib paru dans la revue électronique Hors Champ (voir plus bas messages plus bas). La réplique me paraissait lente à surgir puisque le texte d’Habib prenait entre autre origine de son incompréhension de la réaction (ou non-réaction) des médias face au film, c’est-à-dire son contenu et sa forme directs, et en devenait une critique acerbe. La consternation devenait de plus en plus grande au cours des semaines où l’article en question restait isolé et ignoré. Ce discours est tout simplement et très malheureusement irrecevable pour les actants des médias de masses.

Et M. Lussier a finalement réagit, bien qu’il n’est pas été une cible particulière, et prouvé par écrit que le point de vue lucide soutenu par Habib n’est effectivement pas recevable à son avis. La mauvaise foi est sans doute présente et on comprend tout à fait que ce ton ne serve pas son texte. Il reste qu’il n’est pas du tout constructif de porter toute l’argumentation d’une réplique à cet article sur le fait que son auteur n’était pas de bonne foi.

Pourtant, Lussier semble bien avoir lu et compris le point de vue de Habib et avoir pris intérêt dans certains de ces arguments. Il ne répond par contre pas du tout à la critique qu’il rejette. Il s’en tient simplement à la discréditer. Au moins a-t-il senti sa profession visée… Il confirme néanmoins que Habib à raison, la critique québécoise tient absolument à se désengager de son devoir. Reste à savoir par contre si ce sont les critiques eux-mêmes ou la pression éditoriale (et commerciale) qui pousse à cette démission.

Conseillons tout de même à Marc-André Lussier et autres détracteurs de lire l’article du collègue de Habib, Nicolas Renaud, Le cinéma qui nous veut du bien, qui complète très bien, et avec un peu plus de tact, l’article en cause. Suggérons aussi de vraiment aller demander à Denis Côté ce qu’il pense des procédures de sélections du Festival de Cannes en commençant par lui parler de Les États Nordiques.

10.09.2009

Rôle critique


Les Cahiers du Cinéma s’offrent un règlement de compte concernant Judd Apatatow (The 40 years old virgin, Knocked Up, Funny people) dans leur édition d’octobre. Une douzaine de pages posent un regard critique et relativement laborieux (parfois condescendant, il faut l’avouer) sur les films produits et/ou réalisés et/ou scénarisés par le comique américain. Ils semblaient s’attendre à une révélation quelconque du dernier opus du réalisateur mais ont été amèrement déçus.

Ce genre d’initiative critique est quasi inexistant. Jamais on ne s’en prendrait, que ce soit justifié ou simplement soutenu avec honnêteté, à une machine hollywoodienne telle que celle d’Apatow au Québec par exemple (depuis 2004, il est à l’origine d’un « genre » de comédie déjà amplement récupéré par d’autres artisans du cinéma américain). Le réalisateur américain profite d’une admiration d’une certaine partie des cinéphiles français et les rédacteurs des Cahiers ont ressenti le besoin de répliquer. Probablement. Espérons que ce ne soit pas simplement un coup de marketing (on sait comment les pages couvertures peuvent être importante pour les ventes de presse écrite). Il reste que, si c’est le cas, l’entreprise reste cinglante, peut-être plus.

Il est tout de même du devoir du critique de faire rapport sur les films bons et mauvais, surtout si c’est dernier sont l’objet d’une appréciation positive bien ancrée chez plusieurs. Ce n’est pas vrai qu’il ne faut s’intéresser ou créer autour des films côtés de « bien » à « excellent ». Et ce n’est pas non plus condescendant ou dénigrant de publier plusieurs pages de jugements négatifs. C’est même beaucoup plus valorisant pour Apatow et sa filmographie puisque les rédacteurs des Cahiers leur permettent ainsi d’entrer dans le débat critique, de devenir un sujet plus actif et concret de nos sociétés.    

10.02.2009

Singularités d'une jeune fille blonde . Manoel de Oliveira


La vingtaine de spectateurs de la petite salle de cinéma se retrouvent en cabine de train, en compagnie des autres passagers qui se font poinçonner leurs billets par le contrôleur. Patience. Un homme va nous dévoiler, par l’entremise d’une confession à l’inconnue qui le voisine sur les sièges du train, une histoire qui lui pèse lourdement sur le cœur et qui nous permettra de rencontrer des temps immémoriaux.

Le temps et les lieux sont docilement plastiques aux mains d’Oliveira, mais ils ne sont jamais tordus contre leur nature profonde. Ainsi, une chambre restreinte possède une fenêtre fantôme, un lit qui bouge seul et une porte qui change de mur. Le jour s’impose en un clin d’œil, après qu’on ait pu apprécier la nuit quelques secondes. Une histoire datant de la fin du 19e peut se déroulée en même temps aujourd’hui même, il y a cinquante ans et jamais. Jamais, comme un rêve bien ancré dans le réel, une vision de vérité inconsistante mais bien présente : le désir a bel et bien un obscur objet. Il ne faut pas pour autant s’en méfier : bien qu’il ne puisse pas être atteint, c’est sur le chemin de sa conquête que se gagne les plus grands accomplissements.

Le flottant sentiment anachronique qui soulève le film ne s’explique pas simplement par la vivacité actuelle d’une œuvre d’un jadis contemporain de Buñuel, Dreyer et Lang. Oliveira veut faire vivre une histoire bien simple qui reconstruit un mythe du désir, hors du temps mais bien réel. Pour y croire, le maître portugais l’a compris, il ne faut pas prétendre à reconstituer le monde dans sa réalité perceptible mais plutôt à manier temps et espace pour montrer un monde imperceptible et ce, dans la réalité d’une expérience de cinéma.

9.24.2009

À LIRE

Mortes tous les après-midis

par André Habib

et

Le cinéma qui nous veut du bien

par Nicolas Renaud

dans Hors Champ 

À propos de la léthargie cérébrale de la critique et de la production de cinéma québécois profitant aux logiques de marché. Avec Polytechnique de Denis Villeneuve pour exemple. L’enjeu est d’autant plus important avec ce film du fait qu’il touche à un événement important de la mémoire collective. Au contraire d’autres coquilles vides auxquelles on pourrait reprocher de ne pas travailler le corps de l’identité québécoise, ce film en annule un de ces éléments constitutifs.

Dommage que les propos toujours lumineux tenus dans cette revue électronique tombent quasi systématiquement dans les abysses alors qu’ils tentent sans détours de secouer les divers actants du cinéma, qu’ils soient créateurs, critiques, producteurs ou spectateurs.

Polytechnique . Denis Villeneuve . 2009 . Alliance Vivafilm

9.22.2009

Un prophète . Jacques Audiard


Salle presque que comble au cinéma UGC Gobelin de Paris (+ ou – 350 places), mardi soir, 1er septembre, de tous les âges, tintamarre de paroles, de bouchées de pop-corn et de changements de sièges. Ça retiens son souffle au long de la projection et on entend des rires nerveux lors de scènes violentes ou des séquences qui se tendent à l’onirique. Le film d’Audiard a fait fureur auprès des critiques internationales lors de sa présentation à Cannes en mai dernier et fait maintenant vedette en cette fin d’août en France.

Malik, à 19 ans, écope d’une peine de 6 ans dans un centre de détention des plus durs. D’abord obligé de commettre un meurtre au profit du gang de détenu corses, il devra apprendre le code social dur mais pas si différent de la vie des malfrats en libertés. En fait, c’est du pareil au même, le jeune prisonnier aura après quelques temps à faire à l’extérieur des murs de la prison et il le fera soit par l’entremise de connaissances ou tout simplement en cherchant à avoir des permissions de sorties pour bon comportement. Il s’agit donc d’un microcosme du monde extérieur, sorte de concentration de la vie et du quotidien populaire.

Un peu à la manière de De battre mon cœur s’est arrêté, Audiard lance le spectateur sur une sorte de suspense de gangster, ou encore, dans une représentation réaliste à l’esthétique documentaire de la vie carcéral en France. La proximité entre les acteurs et la caméra et la manière qu’ils ont d’interagir dans un lieu qui les restreint tous rappellent le réalisme propre aux films de Cassavetes. Mais comme pour son film précédent, il s’agit du récit d’une transition pour le personnage principal et ce changement se fait comme à l’insu du spectateur qui cherche à nouer l’intrigue, ou encore, qui veut connaître le réel quotidien d’une prison de ce type. Alors qu’on suit l’ascension de Malik dans le monde des criminels à l’intérieur et à l’extérieur des murs, le spectateur est surpris (rires nerveux, souffles coupés) par des détournements plus personnels, oniriques ou comiques, de manière semblable aux autres personnages du récit ébahis par l’aisance avec laquelle il arrive à prendre le dessus sur leur monde. C’est cette révélation tranquille d’un héro surnaturel qui est le réel intérêt de l’œuvre d’Audiard et qui en est sa force. Le film, ses séquences, ses acteurs, sa bande-son et sa musique ne sont que matériaux au travers desquels on voit apparaître un personnage mythique tel que le cinéma est si apte à en produire et ce, d’une manière qui transcende les approches se voulant réalistes qui sont tant à la mode récemment et qui ne touchent pas toutes aussi bien au but.

8.22.2009

Oeil pour oeil . Inglorious basterds . Quentin Tarantino

Les juifs prennent leur revanche et font un carnage dans leur croisade contre les méchants nazis. Ce ne sont pas des juifs normaux : ils sont américains (pour la plupart) et se proclament donc vengeurs justiciers. Ils sont menés avec conviction fervente par le Lieutenant Aldo Raine, un Bush Jr qui aurait pris en grippe les nazis plutôt que les terroristes et qui s’aurait fait parachuté en terrain ennemi, question d’établir lui-même toute la légitimité d’une furie meurtrière au nom de la vengeance des juifs. Leur entreprise est des plus barbares qu’on puisse imaginer. Il est déjà difficile de concevoir toute l’ampleur de l’horreur de l’Holocauste, il est d’autant plus inconcevable qu’une riposte adoptant le même systématisme exterminateur et aveugle puisse être simplement envisagé. Pourtant, Tarantino l’a fait. Une riposte sérieuse semble d’ailleurs toujours inconcevable en sortant d’une projection de son dernier film. Tous les personnages, sans exception, finissent aussi idiots les uns que les autres, qu’il s’agisse des basterds et leurs visages figés de plaisir vengeur en défigurant Hitler aux tirs de mitraillette, de Shoshana et son rire débile lorsque son image est projetée sur l’écran de son cinéma, du Führer et de ses hauts dirigeants qui tentent comme des poules sans têtes de fuir le cinéma en flammes, du Lieutenant Raine qui déclare bêtement avoir accompli son chef-d’œuvre en gravant la croix gammée au front du Colonel Landa ou de ce dernier si fier de trahir sa nation, de se faufiler en héro dans le camp adverse et ce, sans remords quant à sa responsabilités pour d’innombrables morts de juifs.

Ce n’est donc qu’au prix d’une horreur égale que le monde peut répondre à celles perpétrées durant la Deuxième Guerre Mondial. Il n’y a plus d’espoir ou de désespoir d’une reconsidération de l’Homme face à ce qu’il peut accomplir de pire mais plutôt une acceptation aveugle de ses pulsions haineuses. Le ridicule qui empreigne le film entier permet par contre de remet ce constat pessimiste en question. Comme pour Kill Bill, qui illustrait dans toute son ambiguïté l’entremêlement des approches constituantes des identités féminines contemporaines, Tarantino représente un monde équivoque qui ne s’entend pas sur une manière de comprendre les horreurs qui ont eu lieu durant cette guerre. Ce monde se partage donc entre des tendances aux accusations simples (incarnées par les inglorious basterds), le ressentiment face aux atrocités perpétrées contre les victimes (véhiculé par Shosanna Dreyfus) ou même la simple acceptation des faits (représenté par le Colonel Landa). Ce qui diffère de Kill Bill par contre est le fait que le point commun où s’incarnait l’ambiguïté véhiculée par le diptyque se retrouvait personnifié par Béatrix Kiddo, déchirée entre les désirs maternels, amoureux et d’autodétermination, alors que dans Inglorious basterds ce même point focal d’ambiguïté est absent du film. Il se déplace dans la salle, sur les spectateurs. Tout le poids de la reconnaissance des ambiguïtés qu’illustre le film repose sur chacun assistant aux projections. Tarantino ne fait donc qu’élaborer cette vision qu’il a eu d’une vengeance œil pour œil sans la justifier ou la condamner. Comme il l’a été pour Kill Bill, il ne semble être qu’un accumulateur des opinions populaires reflétant l’état des choses actuelles. Que Tarantino y soit consciemment responsable ou non, Inglorious basterds met à jour la réalité frustrante du peu d’évolution de l’Homme depuis les atrocités dont il s’est découvert capable durant la Deuxième Guerre Mondiale. À tout et chacun de décider si ça le remue.

Bancs publics (Versailles rive droite) . Bruno Podalylès

Chœur de personnages antihéros. Pas de héros pour un film sans récit, ou presque. Du moins, pas de récit unique et tout-puissant mais plutôt une courtepointe de micro-récits révélant dans l’ensemble toute l’absurdité et la bêtise du quotidien des êtres humains. Bêtise répétée et absurdité omniprésente qui en vient à former une idée cohérente : les hommes et les femmes sont effectivement bêtes et absurde. Il nous reste à choisir ou planer entre l’envie de ce laisser aller à cet état des choses ou d’essayer de garder debout un orgueil humain contre nature.

Seule vraie incohérence du film de Podalydès : la finale heureuse, le nouement de toute les intrigues qui investit une réponse décevante parce qu’on aurait préférée se la construire soi-même, qu’elle y soit identique ou non.

7.27.2009

« […] the generality of film criticism isn’t nearly provocative enough – critics, in their fear of utilitarian redundancy, have largely joined the fan-boy set of passive admirers and abandoned trying to influence cinema through provocative writing (and I don’t exclude myself from that accusation). »

. Nick James, Sight and Sound, Juillet 2009

6.25.2009

L'Heure d'été . Olivier Assayas

C’est un anniversaire de plus pour Hélène, âgée de 75 ans, et ses trois enfants adultes, Adrienne, Frédéric et Jérémie, accompagnés de leurs familles respectives. Réunis dans leur maison d’enfance ils lui offrent des cadeaux qui la déçoivent, tentent d’éviter de parler de la mort et discutent de marché mondialisé et de leurs carrières respectives. Hélène décède. Il faut diviser le lègue.


On s’attend suite à cette prémisse assister au resserrement des liens de sang et il en est tout le contraire. Les trois enfants sont déjà ennuyés lors de l’anniversaire de leur mère et sa mort leur donnera l’excuse pour couper tous les ponts. Il ne sera question dès lors que du lègue matériel de la défunte. La valeur marchande prend le dessus sur celle affective que les personnages donnent à l’héritage. Seul Frédéric veut résister au désir de son frère et sa sœur de tout vendre. Ils ont une vie professionnelle en expansion aux bouts du monde (Adrienne en Californie et Jérémie à Shanghai). La maison familiale et tout ce qu’elle renferme ne leur est d’intérêt que financier puisqu’ils ne pourront pas en profiter autrement. Frédéric, toujours en France, croyait garder la maison intacte et est bouleversé par la décision d’Adrienne et Jérémie. Il se soumet tout de même et tout est liquidé en vitesse. Ce n’est pas que la sœur et le frère n’aient pas d’attachement sentimental à Hélène. C’est plutôt que la valeur marchande du lègue se présente comme une force sourde et puissante qui balaie tout autre intérêt affectif. Même Frédéric, pourtant en charge de la liquidation des biens, est absent ou ne donne que très peu d’efforts pour disposer de l’héritage. La volonté de tout vendre et de larguer tout attachement affectif ne vient pas des personnages mais plutôt d’elle-même, comme un vœu inconscient et collectif de société.


Du fait, les personnages des trois enfants laissent indifférent. La seule qui semble retourner un amour profond et senti pour Hélène est Éloïse, la bonne les ayant servis depuis toujours. Elle est mise en distance, inconsidérée. À peine lui donne-t-on un vase que tout le monde croit sans importance. L’ironie du sort voudra que cette pièce aurait pu s’avérer d’une grande valeur si jointe à un autre morceau. Mais encore, personne n’y porte attention si ce n’est Frédéric qui n’aura pas la force de le lui reprendre comme il n’en a pas eu pour affronter son frère et sa sœur. Lorsque lui et sa femme déambule au Louvre acquéreur d’une grande partie des œuvres vendues par la famille, tout ces objets se vident d’intérêt, se trouvent comme stérilisés. Lorsqu’ils portent leurs regards sur l’un des vases, force est de constater que c’est le vase d’Éloïse qui conserve le plus de valeur.


Et les petits-enfants sont carrément expulsés. Ils n’ont pas d’affaires dans la mort d’Hélène. Et quand ils investissent tout l’espace filmique, c’est aussi pour s’approprier la maison familiale, une dernière fois et en faire un lieu de débauche adolescente. Aucun respect pour la postérité ? De qui l’auraient-ils appris de toute manière ? Pourtant, la fille de Frédéric, à la toute fin du film et à la surprise générale, émet une opinion enfouie : elle regrette la vente de la maison. La prise de possession de la demeure familiale par les adolescents prend alors une autre allure. Il ne s’agit pas d’un exemple de la dépravation de la jeunesse résultant de la génération qui la mise au monde. Ils ne peuvent réparer les tords de la génération qui les a mise au monde mais ils peuvent s’en approprier les vestiges et se construire un avenir qui leur est propre et plus humain… Peut-être ?