12.27.2009

Where the wild things are - Spike Jonze


Le dernier film de Spike Jonze permet – comme rarement auparavant – une immersion totale du spectateur. À l’ère des grands déploiements numériques peu de cinéastes arrivent à tirer une vision cohérente et constructive des nouvelles technologies que peut s’offrir le cinéma du 21e siècle – pensons aux films récents de Burton, Gilliam et Coppola, pour ne s’en tenir qu’au plus connus. Jonze propose toutefois une œuvre fraichement originale et en plus, au contraire des autres réalisateurs cités, d’une sincérité gracieuse, enlevante. L’éclat des prouesses numériques n’y est en aucun cas en vedette. La carcasse numérique n’a pas été abandonnée sur l’écran sans être animée d’une personnalité concrète – au contraire d’Avatar, film aussi immersif, sorti la même date en France. Le tout est sous-tendu par un discours double sur la connaissance de soi et le désir de maîtrise de soi-même – ce « soi » pouvant tout autant être celui d’un petit garçon – Max – que celui du cinéma numérique.

Les effets numériques sont admirables, pas révolutionnaires dans leur rendu technique mais présentés d’une manière peu commune. Ils ne sont pas le clou du spectacle. Ce qui leur permet de passer presque inaperçus est le maniement à l’épaule de la caméra. L’accent est ainsi posé sur une idée fugitive du réel : la mise au point n’est pas toujours nette et les difficultés parfois apparente à suivre les sujets. L’image n’est pas complètement travaillée ni détaillée comme nous y ont habitués les films numériques à grand déploiement – l’exception de Cloverfield nous traverse par contre l’esprit. Les prouesses des effets spéciaux sont d’ailleurs présentées de manière tout à fait originale et humble. Les monstres n’ont pas de pouvoirs spéciaux leur permettant de faire des actions extraordinaires – lire : possibles qu’avec des effets numériques. Ils sont plutôt des bêtes sauvages qui se jettent l’une sur l’autre, se cognent contre les arbres ou se fracassent contre des parois rocheuses. Le travail d’effets spéciaux et de création d’un univers nouveau est modeste, prudent et parfaitement maîtrisé. Les créateurs se sont bien appliqués à développer ce qu’on semble laisser trop souvent de côté : les corps. Comme pour se débarrasser de tout superflu et arriver au meilleur résultat en tentant de maîtriser ces nouvelles technologies numérique. Tous les personnages évoluent dans un décor réaliste – une sorte de forêt, la mer, un désert parfois – mais ils sont pour leur part extrêmement originaux : on a rarement vu de tels monstres au cinéma.

Ce qui contribue d’abord à la réussite de ces créatures numériques est d’abord la qualité de leur personnalité et de leur psychologie. Encore une fois, ils ont été pensés avec retenue et efficacité. Chaque monstre représente une facette émotive humaine isolée. Au lieu d’ambitionner à créer une culture entièrement différente à ces personnages – et de risquer de tomber dans le piège d’un exotisme conventionnel, ils se rattachent à des formes humaines d’émotions, poussées à leurs paroxysmes. S’ils ont des corps presque entièrement inattendus – leurs visages sont humains : vecteurs des émotions – leur personnalités rappellent justement que le point de référence de ces inventions imaginaires restera toujours l’homme. Et ce point d’appui permet justement de reconfigurer, comme il l’est fait avec leur physique, les contours de notre squelette émotionnel. Le propos du film tient justement dans se rapport entre les corps et les émotions : ces dernières apparaissent comme des monstres à diriger de force – par le mensonge et la croyance entre autres – alors qu’elle n’ont cette apparence effrayante et étrangère que parce que justement on ne veut pas les percevoir comme humaines.

Le périple de Max prend donc la forme d’une fable sur la reconnaissance de ses propres émotions et sur la manière de les maîtriser. De la même manière, le film se pose comme un travail semblable d’exploration des possibilités des effets d’animation numérique et de la manière de les faire prendre l’espace qui leur convient sur l’écran. Rien ne sert de les prendre d’assaut ou de les faire mentir – les effets spéciaux sont autant faits pour recréer le réel que Max est le roi de tous ces monstres, ils ont une place qui reste à déterminer et ils faut les comprendre pour qu’ils s’expriment à leur meilleur. 

22h00 - 22.12.09 - MK2 Odéon - Paris

12.26.2009

The Dead - John Huston


Le film de John Huston – basé sur une nouvelle de James Joyce, tirée de The Dubliners – se présente comme une collection de rituels mondains partagés par un groupe de personnes à l’occasion de l’Épiphanie : danse, chants, récitation d’un conte ou la tradition du vœu entre deux personnes tirant sur l’os de la dinde sont les rites les plus évidents. Huston les montres avec une attention toute particulière à l’aide de longs gros plans mettant le temps en suspension. D’autres événements tiennent aussi de rituels que l’on pourrait qualifiés de familiaux. Il y a par exemple l’alcoolisme de Freddy Malins qui est anticipé longuement avant sont arrivée à la soirée. Il semble alors qu’il soit toujours bourré et surtout, qu’il gâche à tout coup ce genre de soirée. Il lui arrive en effet d’être un peu dérangeant sans pour autant vraiment mettre en péril la poursuite de la fête. Sa mère se fait d’ailleurs un devoir de démontrer le plus explicitement possible son mécontentement vis-à-vis du comportement de son fils. La manière dont est traité l’alcoolisme de Freddy par la parenté tient presque d’une tradition et il est même à considérer l’option que s’il est saoul à toutes les années c’est qu’il se sente obligé de ne pas décevoir les attentes des convives.

De la même manière, le film se reçoit comme un collier de micro-récits. Tous les commentaires et histoires que se passent les personnages sont finaux aussitôt dits. Le principal intérêt devient alors de tenter de retracer le fil qui relie tout les morceaux de récits qui composent le film. Une incertitude se pose alors : il n’est pas certain que le spectateur doivent déceler le « mystère » qui rendra cohérent tous les événements qu’on lui présente où s’il devra plutôt se contenter de les observer tels qu’ils sont sans chercher à leur trouver de signification supplémentaire. C’est le problème qui frappe aussi le personnage principal – Gabriel Conroy: toutes ces cérémonies semblent vide de sens concret, simplement répétées par tradition et sans attache à la réalité. Les scènes finales, alors que la fête est terminée et que Gabriel et sa femme Gretta se rendent à leur appartement, présentent l’apparition de cette prise de conscience par le personnage. Bien qu’il ait été mal à l’aise tout au long de la soirée, il lui apparaît évident alors que ce qui est à l’origine de toutes ces cérémonies lui échappera à jamais, il n’arrivera jamais à les comprendre rationnellement. C’est au travers d’un enchaînement d’événements entre lui et sa femme que cette révélation est mise à jour. Il la voit pleurer dans les escaliers de l’hôte en écoutant une chanson. Ils n’arrivent pas à se parler sur le chemin de retour, ils ne sont pas sur la même longueur d’onde. À leur arrivée, il lui demande pourquoi elle pleurait et elle lui répond alors avec une profonde tristesse que la chanson entendue lui rappelait un amour de jeunesse, décédé avant qu’ils n’aient pu le concrétiser. Il comprend alors – dans un monologue en voix off tiré mot pour mot de la fin de la nouvelle de Joyce – qu’il ne pourra pas, malgré tout ses efforts, connaître sa femme comme elle l’a été pour ce premier amour.

21.12.9 – 20h30 – Le Champo - Paris

12.25.2009

Avatar - James Cameron


On a entendu parler du nouveau film de James Cameron pour ce qu’il aurait de révolutionnaire, bien avant d’en connaître le récit ni même avant d’avoir une idée de ce qu’il aurait de si exceptionnel dans son contenu ou dans sa forme. On nous parlait d’un film révolutionnaire, transformant le système d’exploitation et de diffusion du cinéma bien avant d’envisager qu’il modifie la face des films hollywoodiens. Avatar ne devait être projeté en salle que sur support numérique – aucune copie 35mm. Si les exploitants de salles de cinéma ne voulaient pas passer à côté du succès qu’on leur promettait avec le dernier blockbuster de Cameron, il fallait qu’ils s’équipent en équipement de projection numérique. Mais le plan initial est tombé à l’eau – la grande vague de rééquipement n’a pas eu lieu.

Le réflexe face à une telle ambition a été de faire de ce film une démonstration spectaculaire des moyens technologiques et numériques qu’a acquis le cinéma hollywoodien. Le prix à payer : la faiblesse du récit ou du moins d’une cohérence cinématographique. Le squelette narratif se retrouve bien tracé mais comme sectionné de passages spectaculaires et même carrément digéré d’avance. Une forme faible de récit doit être présente pour conserver une idée de progression – qui a constitué l’attribut majeur du premier siècle du cinéma – mais est tout de même clairement mise à mal : elle n’est plus importante. Signe d’un cinéma en mutation? Certainement. Aboutissement d’une révolution du cinéma? Loin de là : on n’en est qu’à ses premiers barbouillages.

L’effet d’immersion - la projection 3D est nécessaire pour en saisir toute l'ampleur, la qualité technique des effets spéciaux, en présence autoritaire, et l’originalité de la création d’une esthétique originale sont tous excellemment réussi. Et la faiblesse du récit n’est jamais regretté : le spectacle cinématographique fait largement le travail pour captiver le spectateur. Comme aux premiers temps du septième art, l’intérêt d’aller voir ce film réside justement dans la curiosité du dispositif et l’émerveillement qu’il peut procurer. On assiste réellement à la démonstration de nouvelles évolutions technologique comme on le faisait avec le cinématographe à l’origine.

La réaction du public lors de la projection à laquelle j’ai assistée en était d’ailleurs une preuve concrète : tous ont applaudi à l’apparition du générique sur l’écran. Une autre réaction commune de l’assistance fût des rires nerveux lors de scènes amoureuse entre deux des extraterrestres – les Na’vi – qui mettait en lumière une faiblesse du rendu crédible d’une création totale d’un peuple et d’un monde sur écran.

Il ne suffit pas – c’est ce que ce film permet de comprendre – de donner à ces Na’vi une apparence et un monde parfaitement détaillés et crédibles visuellement pour que l’artifice fonctionne. Les extraterrestres de James Cameron manquent terriblement de personnalités et de culture. Tous les clichés des peuples primitifs s’y retrouvent. Ils se déplacent et crient comme des animaux sauvages, vivent dans une jungle et parlent une langue gutturale. La trame musicale offre un mélange parfois trop appuyé de musique occidentale – lire humaine – et de musique tribale avec percussions africaines, associée aux Na’vi.

Avatar laisse entrevoir un retour vers un spectateur des premiers temps : émerveillé plutôt qu’éveillé. Le problème de la crédibilité des Na’vi et de leur monde – visuellement réussis, culturellement absolument pas originaux –  permet par contre de mettre en lumière un questionnement qui est propre au cinéma numérique : doit-il s’affirmer comme spectacle technologique ou plutôt s’efforcer d’utiliser ses attributs nouveaux pour créer une matière cinématographique réellement neuve et mutée?

Projection de 21h10 au MK2 Quai de Scène le 20.12.9 - Paris.

+ 4.2.10 :

À LIRE: Le cinéma total selon James Cameron

Du cinématographe

"Après donc avoir analysé la technologie de la reproduction mécanisée du réel en une image photographique, Bazin nous souligne que ce simple réalisme de l’image, cette ontologie, n’est pas, en soi, un art; il faut encore qu’il y ait quelque chose à exprimer, à communiquer. Il y a un langage supposé et permis par cette ontologie qu’il faut honorer de par ses propositions esthétiques (ou plutôt éthiques)." LIRE EN ENTIER

12.24.2009

Tetro


Extrait d’un entretien avec Francis Ford Coppola au moment de la promotion de Tetro à Paris en novembre 2009, propos recueillis par Cyril Béghin et Stéphane Delorme. Tiré du numéro de décembre 2009 des Cahiers du cinéma - nº651 –

[…]

Cahiers du cinéma/ Lorsque Vincent Gallo arrive à l’enterrement, un autre cinéaste aurait certainement consacré une scène au drame familial, dans un autre lieu, et une scène à la cérémonie grandiose avec l’orchestre.

Francis Ford Coppola/ Vincent a dit qu’il n’irait pas à l’enterrement d’un père comme celui-là, qu’il ne porterait pas un costume, etc. Il voulait attendre dehors. Parce que Vincent ne s’entendait pas avec son propre père. Mais je l’ai convaincu de venir et donner la baguette de chef d’orchestre au vieil oncle […].

/ Vincent Gallo disait : « Tetro n’irait pas à l’enterrement » ?

/ Il ne parlait pas de Tetro, il était Tetro. Il a simplement dit : « Je n’irais pas. »

[…]

12.20.2009

une Montagne


Extrait d’un entretien avec Francis Ford Coppola au moment de la promotion de Tetro à Paris en novembre 2009, propos recueillis par Cyril Béghin et Stéphane Delorme. Tiré du numéro de décembre 2009 des Cahiers du cinéma - nº651 –

Alors que nombre de cinéastes émergents se mettent dans tous leur états pour ne pas que le cinéma que l’on connaît soit perdu – lorsque par exemple, on s’entête à faire la gloire de la pellicule, à la voir comme le seul vrai support du cinéma – des cinéastes d’expériences, comme Francis F. Coppola, qui ont marqués l’apogée de ce cinéma à peine centenaire, ne semblent pas du tout complexés de voir qu’ils n’auront jamais terminé d’apprendre comment manier cette matière de son et de lumière en constante évolution :

[…]

Cahiers du cinéma/Durant cette discussion, donc, vous disiez que le cinéma est maintenant plus « malléable », et qu’un réalisateur peut modifier son film jusqu’au moment de la projection…

Francis Ford Coppola/ … ou au cours de la projection…

/ Vous vous imagineriez, dans le futur, comme un projectionniste, envoyant des images partout dans le monde depuis un même endroit?

/ Non, là, avec les spectateur, et plutôt à la manière d’un DJ ou d’un chef d’orchestre dirigeant un opéra.

/Vous avez déjà essayé?

/ Non, pas vraiment. Tout ce que je peux dire c’est que depuis cent cinquante ans, l’art est reproduit techniquement. Cette reproduction était, à l’origine, une nouveauté excitante en elle-même. Aujourd’hui, une œuvre d’art sur DVD ou autre support, on connaît, ça ne vaut plus rien, on peut en obtenir et en copier à n’importe quel moment.

Le cinéma connaît actuellement de graves difficultés. L’époque où les maisons de disques faisaient payer 20 dollars un enregistrement qui leur coûtait 90 cents et où les dirigeants s’achetaient des Ferrari avec l’argent encaissé, cette époque est arrivée à son terme avec l’avènement des réseaux de partage de fichiers. Si vous acheté un disque, ou un film, vous pouvez bien en donner une copie à un ami. Bien sûr, ça fait trembler les bases financières du système. Ajoutez à cela le piratage et la concurrence du sport ou de la télévision-spectacle. Alors le cinéma panique. Regardez toute la course au 3D, ils n’ont même pas réussi à trouver un système sans lunettes, c’est le même cinéma en relief que dans les années 50!

Tout cela pour dire : lorsqu’un fleuve comme le cinéma se heurte à une montagne, il trouve une voie pour continuer à exister. C’est comme une langue qui parfois, et c’est le plus intéressant, va se mêler à une autre. L’allemand s’est mélangé au latin et est devenu, au fil de centaines d’années, une nouvelle langue. Tout le monde croit savoir ce que sont les films parce qu’on vient de traverser un merveilleux siècle de cinéma, mais personne ne sait de quoi ils auront l’air dans quinze ans.

[…]


12.16.2009

Notes de projections - Antichrist / 22.10.9


Antichrist de Lars Von Trier . 22.10.9. 12h00 . Le Latina / Paris . Salle 2.

Au moment où le générique de fin se termine:

[…]

Surgit alors un cri, monocorde mais rageur, exagéré mais tout de même inquiétant.

C’était un autre spectateur, quelques rangés devant. Il s’était levé pour pousser son hurlement. C’était le seul autre spectateur de la projection. Il était visiblement mécontent. Je le regardai furtivement puis fît mine de rien. Chacun à droit à son intimité, à mon avis, dans une salle de cinéma. Je dû tout de même brièvement avoir un air surpris et interrogateur. Il me répondit, plus serein mais tout de même gravement irrité, à moi et probablement au projectionniste dans sa cabine. Qu’ils ne se demandent pas, commença-t-il à dire, pourquoi il y a de moins en moins de public dans leurs petites salles chieuses. Si c’est pas ce putain de point lumineux en plein milieu, derrière l’écran[1] qui fout tout en l’air, c’est cette attardée qui fait les allés retours dans la salle![2] Ça nous apprendra à venir dans ces salles de quartier, dit-il en me regardant avec un clin d’œil, cynique. Hé, oh! cria-t-il, projectionniste! Et il continua. Il voulait vraiment se faire entendre. Mais il parlait à un mur. Littéralement. Et ça ne l’aidait pas à se calmer. Je pris mes choses et sorti. Je passai par les toilettes. En sortant du cinéma, je le retrouvai sur le trottoir en train d’engueuler la guichetière, en pause, fumant sa cigarette et qui ne comprenait rien à son histoire de point lumineux.


[1] Il avait raison, j’avais remarqué aussi, en début de projection, ce point lumineux qui paraissait derrière l’écran, au travers des images projetées. J’avais réussi à en faire abstraction.

[2] Il y avait effectivement eu quelqu’un qui était entrée dans la salle durant la projection et qui n’avait cesser de se déplacer entre les sièges ou d’entrer et de sortir de l’endroit tout au long du film. Elle ne pouvait pas manquer de faire du bruit et ne ratait pas de perturber le visionnement.

[…]