10.31.2009

Bouclier-miroir

Du cinématographe nous offre une réflexion autour du rapport entre réel et image cinématographique dans l’ouvrage de Siegfried Kracauer Therory of film : The redemption of physical reality. Je me permet de citer un extrait pour vous inciter à aller lire en entier :

« Kracauer, dont je reprends ici les termes, rapproche le cinéma du mythe de Méduse : monstre horrifiant statufiant toute personne de son regard, elle est décapitée par Persée qui, grâce à son bouclier-miroir, peut l’approcher en évitant ce regard. Méduse, c’est l’horreur du réel, la réalité terrifiante que nous ne pouvons contempler directement, tout événement monstrueux que nous peinons à concevoir sans trembler. Le bouclier-miroir, c’est le cinéma, c’est l’outil grâce auquel nous pouvons non seulement enfin approcher cette horreur et la voir réellement, par le truchement d’une seule réflexion, mais aussi grâce auquel nous pouvons décapiter l’horreur, donc la dépasser sans l’écarter, en l’affrontant plutôt par le seul moyen possible, celui de la représentation. » . article entier .

3-D (suite)

Un regard lucide porté par Kristin Thompson sur le cinéma 3D dans son article Has 3-D already failed? sur le blog de davidbordwell.net. Cette nouvelle approche technologique poussée par les grands actants du cinéma hollywoodien pourrait bien transformer notre manière de voir les films, que ce soit comme ils le prévoient ou non. Article à lire.

“Right now, the big proliferation is in tiny personal screens, iPod Touches, cell phones, portable gaming devices. Will teenagers allow themselves to look dorky by sitting with 3-D glasses staring at their phones? […] ­So far, it is a remarkably inadaptable technology to try and force on people whose movie-playing gadgets change every few years.”  . Article entier .

10.25.2009

Antichrist . Lars Von Trier



D’une beauté formelle sidérante, le film de Lars Von Trier fait vivre toute la colère du cinéaste avec autorité. Expérience physique et mentale de haute intensité. Satire excellemment exécutée du genre filmique de l’horreur, Antichrist s’enfonce d’abord tout en profondeur dans les méandres des identités sexuelles. Elle (Charlotte Gainsbourg) tombe dans un profond et douloureux deuil suite à la mort accidentel de son enfant. Son mari (Willem Dafoe), psychothérapeute de profession, prend en charge sa guérison. Être d’une rationalité fondamentale, il tente de retracer la source du mal de sa femme, y voyant d’abord de simples symptômes du deuil de leur enfant, ensuite un trouble plus enfoui relié à la nature et la forêt où ils possèdent un abris et puis une psychose entourant la chasse aux sorcières (elle croit que les femmes sont effectivement à l’origine du mal). Elle se laisse tout d’abord aller à une soumission docile à la thérapie dominatrice de son mari ou à un combat tourmenté contre ses propres croyances misogynes. Mais elle n’arrive pas à trouver sa place dans le monde rationnel de son mari qui lui fait croire à sa libération de l’oppression masculine dans un cadre qu’il lui impose qui est des plus oppressants. Elle se fait alors pur mal, incarnant le seul rôle qui ait été identifié aux femmes, celui de Satan, que c’ait été comme objet de l’oppression masculine ou comme celui de l’Église. Évidemment, l’affirmation ainsi faîte est des plus absurdes et c’est à ce niveau que les accusations de misogynies ont fusées contre le cinéaste.

On ne peut porter de tels réprimandes qu’en prenant le film au premier degré, en étant aveugle à la satire du film d’horreur qui nous ait livrée. Plusieurs éléments de la mise en scène se posent comme fonctions satyriques. La musique pompeuse et les images noir et blanc au ralenti des prologue et épilogue sont des plus risibles. Origine et conclusion du récit sont les signes les plus flagrants de la position autocritique du film. Les animaux icônes des trois mendiants structurant l’histoire sont si visiblement animés par ordinateur qu’il n’est pas étonnant de voir le réalisateur les tourner d’autant plus au ridicule lorsque le renard prononce : « Chaos reigns » d’une voix d’outre-tombe. La bande son vrombissante, clairement associée aux segments qui se veulent typiquement horribles révèle clairement les mécanismes du genre caricaturé. Toute cette dynamique dichotomique opposant homme et femme comme on oppose bien et mal est sans doute tournée au ridicule.

Le film ne s’annule pas pour autant, ne devient pas qu’un film d’horreur insipide et de mauvais goût. Le propos est détourné vers un problème plus profond : la division biologique binaire des humains. La scène de l’excision qu’elle se perpètre elle-même en est le point culminant. Possédant la même fonction satirique du genre de l’horreur, le gros plan sur le clitoris sectionné est si grossier qu’il tourne à l’absurde la simple idée qui passe par la tête de la femme : qu’en se débarrassant de son attrait sexuel la déterminant femelle elle pourrait du même coup rejeter tout le cadre restreignant imposé aux femmes, se libérée du mal qu’elle se sent soumise à incarner. En gros, Antichrist se pose comme un espace-temps où se déchaine toute l’horreur, et son absurdité, de la division des sexes qui gère toujours nos sociétés. Il n’y est pas question spécifiquement de la condition des femmes, ni de celles des hommes, mais il s’agit plutôt du constat cynique et enragé de l’absurdité de la division des sexes. Ce qui est le plus troublant et choquant du film de Lars von Trier ne sont pas les scènes explicites et le sujet à premier abord simpliste et misogyne mais bien le ton sincèrement colérique et le constat de la soumission des êtres humains à un bête système binaire qui leur refuse la liberté auquel ils croient tendre.

 

Pour une interprétation de la dédicace à Andrei Tarkovsky faite à la fin du film et une analyse théologique plus complète du film, je vous suggère la lecture de Antichrist : the visual theology of Lars Von Trier de Tina Beattie sur opendemocraty.net.




10.24.2009

Fish Tank . Andrea Arnold


Mia est une enfant insoumise. Sa famille, et celle de plusieurs de ses camarades de classe, ses voisins, n’arrivent pas à la faire plier aux attentes de la « bonne vie » en société puisqu’ils en sont eux-mêmes incapables. Les seuls moments où elle se soumet à un code de conduite sont lorsqu’elle s’entraîne à la danse hip-hop. Ses mouvements sont largement emprunté à quelque vedette qu’elle admire, toujours les mêmes, avec quelques variations. Elle les exécute avec confiance mais avec engourdissement et rudesse. Ces chorégraphies sont comme un cadre supplémentaire avec lequel elle se débat pour arriver à s’y conformer.

La danse se montrera pourtant incapable de permettre à Mia de trouver un moyen de se réaliser, tout comme Connor, le copain de sa mère, n’y arrivera pas malgré toute l’admiration qu’elle lui porte. Les deux supports qu’elle trouve en eux ne resteront pas que chimères. Ils se réaliseront en horribles confirmations de l’étanchéité du monde sous-classé dans lequel elle vit.

Fish Tank arrive à capter, au-delà du réel d’un milieu défavorisé, les mécanismes sociaux fonctionnels pour certains et oppressants pour d’autres. Les scènes de danses qui se répètent au cours de films en sont des représentations des plus complexes, complètes et touchantes. Mais, plus qu’un simple regard observateur, le film et sa mise en scène nous mène au confins de la pensée de Mia, se débattant comme elle peut avec le monde qu’elle vit, à l’aide de traits poétiques transcendants (les scènes du cheval enchaîné ou de l’enlèvement de la fille de Connor par exemple).  

10.21.2009

nouveaux médias

« le cinéma d’animation est un médium, pas un genre »

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Charlotte Garson rapporte, pour les Cahiers du Cinéma n°649 (automne 2009), une des règles d’or des 5 gourous-créateurs chez Pixar (John Lasseter, Andrew Stanton, Brad Bird, Pete Docter, Lee Unkrich), alors qu'ils étaient en conférence à la Mostra de Venise.

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10.10.2009

Réplique


Marc-André Lussier, chroniqueur cinéma de La Presse, se prononce sur l’article Mortes tous les après-midis d’André Habib paru dans la revue électronique Hors Champ (voir plus bas messages plus bas). La réplique me paraissait lente à surgir puisque le texte d’Habib prenait entre autre origine de son incompréhension de la réaction (ou non-réaction) des médias face au film, c’est-à-dire son contenu et sa forme directs, et en devenait une critique acerbe. La consternation devenait de plus en plus grande au cours des semaines où l’article en question restait isolé et ignoré. Ce discours est tout simplement et très malheureusement irrecevable pour les actants des médias de masses.

Et M. Lussier a finalement réagit, bien qu’il n’est pas été une cible particulière, et prouvé par écrit que le point de vue lucide soutenu par Habib n’est effectivement pas recevable à son avis. La mauvaise foi est sans doute présente et on comprend tout à fait que ce ton ne serve pas son texte. Il reste qu’il n’est pas du tout constructif de porter toute l’argumentation d’une réplique à cet article sur le fait que son auteur n’était pas de bonne foi.

Pourtant, Lussier semble bien avoir lu et compris le point de vue de Habib et avoir pris intérêt dans certains de ces arguments. Il ne répond par contre pas du tout à la critique qu’il rejette. Il s’en tient simplement à la discréditer. Au moins a-t-il senti sa profession visée… Il confirme néanmoins que Habib à raison, la critique québécoise tient absolument à se désengager de son devoir. Reste à savoir par contre si ce sont les critiques eux-mêmes ou la pression éditoriale (et commerciale) qui pousse à cette démission.

Conseillons tout de même à Marc-André Lussier et autres détracteurs de lire l’article du collègue de Habib, Nicolas Renaud, Le cinéma qui nous veut du bien, qui complète très bien, et avec un peu plus de tact, l’article en cause. Suggérons aussi de vraiment aller demander à Denis Côté ce qu’il pense des procédures de sélections du Festival de Cannes en commençant par lui parler de Les États Nordiques.

10.09.2009

Rôle critique


Les Cahiers du Cinéma s’offrent un règlement de compte concernant Judd Apatatow (The 40 years old virgin, Knocked Up, Funny people) dans leur édition d’octobre. Une douzaine de pages posent un regard critique et relativement laborieux (parfois condescendant, il faut l’avouer) sur les films produits et/ou réalisés et/ou scénarisés par le comique américain. Ils semblaient s’attendre à une révélation quelconque du dernier opus du réalisateur mais ont été amèrement déçus.

Ce genre d’initiative critique est quasi inexistant. Jamais on ne s’en prendrait, que ce soit justifié ou simplement soutenu avec honnêteté, à une machine hollywoodienne telle que celle d’Apatow au Québec par exemple (depuis 2004, il est à l’origine d’un « genre » de comédie déjà amplement récupéré par d’autres artisans du cinéma américain). Le réalisateur américain profite d’une admiration d’une certaine partie des cinéphiles français et les rédacteurs des Cahiers ont ressenti le besoin de répliquer. Probablement. Espérons que ce ne soit pas simplement un coup de marketing (on sait comment les pages couvertures peuvent être importante pour les ventes de presse écrite). Il reste que, si c’est le cas, l’entreprise reste cinglante, peut-être plus.

Il est tout de même du devoir du critique de faire rapport sur les films bons et mauvais, surtout si c’est dernier sont l’objet d’une appréciation positive bien ancrée chez plusieurs. Ce n’est pas vrai qu’il ne faut s’intéresser ou créer autour des films côtés de « bien » à « excellent ». Et ce n’est pas non plus condescendant ou dénigrant de publier plusieurs pages de jugements négatifs. C’est même beaucoup plus valorisant pour Apatow et sa filmographie puisque les rédacteurs des Cahiers leur permettent ainsi d’entrer dans le débat critique, de devenir un sujet plus actif et concret de nos sociétés.    

10.06.2009

Treat me like your mother . Jonathan Glazer

Jonathan Glazer ne produit pas beaucoup, mais lorsqu’il s’y met, le résultat est toujours intéressant. Ce vidéoclip n’est pas absolument incroyable mais il vaut tout de même le détour. Surtout pour l’un des premiers plans, Jack White avançant d’un pas ferme dans les champs suburbain, ou pour celui où les rayons de soleil lui transperce le corps. Il ose vraiment, quand on considère la norme du plan microseconde de l’esthétique vidéoclip habituel… et il réussit tout de même à obtenir un résultat des plus satisfaisants, à mon avis, du point de vue du but premier de ce type de production : accrocher. Et cette utilisation des effets spéciaux est des plus réfléchie, comme dans la majorité de ses films et vidéoclip : sans éclats et touchant à une sorte de réalisme étrange. On attend impatiemment son prochain film (enfin!),  format qui lui va sans doute beaucoup mieux, intitulé Under the Skin, en cours de production, apparemment…

10.02.2009

Singularités d'une jeune fille blonde . Manoel de Oliveira


La vingtaine de spectateurs de la petite salle de cinéma se retrouvent en cabine de train, en compagnie des autres passagers qui se font poinçonner leurs billets par le contrôleur. Patience. Un homme va nous dévoiler, par l’entremise d’une confession à l’inconnue qui le voisine sur les sièges du train, une histoire qui lui pèse lourdement sur le cœur et qui nous permettra de rencontrer des temps immémoriaux.

Le temps et les lieux sont docilement plastiques aux mains d’Oliveira, mais ils ne sont jamais tordus contre leur nature profonde. Ainsi, une chambre restreinte possède une fenêtre fantôme, un lit qui bouge seul et une porte qui change de mur. Le jour s’impose en un clin d’œil, après qu’on ait pu apprécier la nuit quelques secondes. Une histoire datant de la fin du 19e peut se déroulée en même temps aujourd’hui même, il y a cinquante ans et jamais. Jamais, comme un rêve bien ancré dans le réel, une vision de vérité inconsistante mais bien présente : le désir a bel et bien un obscur objet. Il ne faut pas pour autant s’en méfier : bien qu’il ne puisse pas être atteint, c’est sur le chemin de sa conquête que se gagne les plus grands accomplissements.

Le flottant sentiment anachronique qui soulève le film ne s’explique pas simplement par la vivacité actuelle d’une œuvre d’un jadis contemporain de Buñuel, Dreyer et Lang. Oliveira veut faire vivre une histoire bien simple qui reconstruit un mythe du désir, hors du temps mais bien réel. Pour y croire, le maître portugais l’a compris, il ne faut pas prétendre à reconstituer le monde dans sa réalité perceptible mais plutôt à manier temps et espace pour montrer un monde imperceptible et ce, dans la réalité d’une expérience de cinéma.