10.25.2009

Antichrist . Lars Von Trier



D’une beauté formelle sidérante, le film de Lars Von Trier fait vivre toute la colère du cinéaste avec autorité. Expérience physique et mentale de haute intensité. Satire excellemment exécutée du genre filmique de l’horreur, Antichrist s’enfonce d’abord tout en profondeur dans les méandres des identités sexuelles. Elle (Charlotte Gainsbourg) tombe dans un profond et douloureux deuil suite à la mort accidentel de son enfant. Son mari (Willem Dafoe), psychothérapeute de profession, prend en charge sa guérison. Être d’une rationalité fondamentale, il tente de retracer la source du mal de sa femme, y voyant d’abord de simples symptômes du deuil de leur enfant, ensuite un trouble plus enfoui relié à la nature et la forêt où ils possèdent un abris et puis une psychose entourant la chasse aux sorcières (elle croit que les femmes sont effectivement à l’origine du mal). Elle se laisse tout d’abord aller à une soumission docile à la thérapie dominatrice de son mari ou à un combat tourmenté contre ses propres croyances misogynes. Mais elle n’arrive pas à trouver sa place dans le monde rationnel de son mari qui lui fait croire à sa libération de l’oppression masculine dans un cadre qu’il lui impose qui est des plus oppressants. Elle se fait alors pur mal, incarnant le seul rôle qui ait été identifié aux femmes, celui de Satan, que c’ait été comme objet de l’oppression masculine ou comme celui de l’Église. Évidemment, l’affirmation ainsi faîte est des plus absurdes et c’est à ce niveau que les accusations de misogynies ont fusées contre le cinéaste.

On ne peut porter de tels réprimandes qu’en prenant le film au premier degré, en étant aveugle à la satire du film d’horreur qui nous ait livrée. Plusieurs éléments de la mise en scène se posent comme fonctions satyriques. La musique pompeuse et les images noir et blanc au ralenti des prologue et épilogue sont des plus risibles. Origine et conclusion du récit sont les signes les plus flagrants de la position autocritique du film. Les animaux icônes des trois mendiants structurant l’histoire sont si visiblement animés par ordinateur qu’il n’est pas étonnant de voir le réalisateur les tourner d’autant plus au ridicule lorsque le renard prononce : « Chaos reigns » d’une voix d’outre-tombe. La bande son vrombissante, clairement associée aux segments qui se veulent typiquement horribles révèle clairement les mécanismes du genre caricaturé. Toute cette dynamique dichotomique opposant homme et femme comme on oppose bien et mal est sans doute tournée au ridicule.

Le film ne s’annule pas pour autant, ne devient pas qu’un film d’horreur insipide et de mauvais goût. Le propos est détourné vers un problème plus profond : la division biologique binaire des humains. La scène de l’excision qu’elle se perpètre elle-même en est le point culminant. Possédant la même fonction satirique du genre de l’horreur, le gros plan sur le clitoris sectionné est si grossier qu’il tourne à l’absurde la simple idée qui passe par la tête de la femme : qu’en se débarrassant de son attrait sexuel la déterminant femelle elle pourrait du même coup rejeter tout le cadre restreignant imposé aux femmes, se libérée du mal qu’elle se sent soumise à incarner. En gros, Antichrist se pose comme un espace-temps où se déchaine toute l’horreur, et son absurdité, de la division des sexes qui gère toujours nos sociétés. Il n’y est pas question spécifiquement de la condition des femmes, ni de celles des hommes, mais il s’agit plutôt du constat cynique et enragé de l’absurdité de la division des sexes. Ce qui est le plus troublant et choquant du film de Lars von Trier ne sont pas les scènes explicites et le sujet à premier abord simpliste et misogyne mais bien le ton sincèrement colérique et le constat de la soumission des êtres humains à un bête système binaire qui leur refuse la liberté auquel ils croient tendre.

 

Pour une interprétation de la dédicace à Andrei Tarkovsky faite à la fin du film et une analyse théologique plus complète du film, je vous suggère la lecture de Antichrist : the visual theology of Lars Von Trier de Tina Beattie sur opendemocraty.net.




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