8.30.2009


Extrait Positif n°581-582

Entrevue avec Michael Mann : Quand la mort était le seul horizon . Michael Henry .

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M.H. – Vous aviez tourné certaines séquences d’Ali et toutes les séquences de nuit de Collateral en vidéo haute définition. Pourquoi, cette fois [Public Ennemies, 2009], le film entier?

M.M. – J’avais prévu tourner sur pellicule film. Mais, un soir, nous avons fait des essais d’éclairage dans le parking, sous ma fenêtre, avec des voitures et des costumes d’époque. Il se trouve qu’il pleuvait ce soir-là. Sur film, cela ressemblait à un film à costumes. En high-def, cela avait la texture de l’époque elle-même ! Comme s’il avait plu cette nuit-là à Chicago en 1933. Que ce soit la résolution de l’image, le choix de certaines focales, ou une très grande profondeur de champ qu’on ne peut obtenir avec de la pellicule, je savais que je serais en mesure de manipuler l’image et de lui donner la réalité voulue, une réalité au présent, un (sic) réalité immédiate.

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8.22.2009

Oeil pour oeil . Inglorious basterds . Quentin Tarantino

Les juifs prennent leur revanche et font un carnage dans leur croisade contre les méchants nazis. Ce ne sont pas des juifs normaux : ils sont américains (pour la plupart) et se proclament donc vengeurs justiciers. Ils sont menés avec conviction fervente par le Lieutenant Aldo Raine, un Bush Jr qui aurait pris en grippe les nazis plutôt que les terroristes et qui s’aurait fait parachuté en terrain ennemi, question d’établir lui-même toute la légitimité d’une furie meurtrière au nom de la vengeance des juifs. Leur entreprise est des plus barbares qu’on puisse imaginer. Il est déjà difficile de concevoir toute l’ampleur de l’horreur de l’Holocauste, il est d’autant plus inconcevable qu’une riposte adoptant le même systématisme exterminateur et aveugle puisse être simplement envisagé. Pourtant, Tarantino l’a fait. Une riposte sérieuse semble d’ailleurs toujours inconcevable en sortant d’une projection de son dernier film. Tous les personnages, sans exception, finissent aussi idiots les uns que les autres, qu’il s’agisse des basterds et leurs visages figés de plaisir vengeur en défigurant Hitler aux tirs de mitraillette, de Shoshana et son rire débile lorsque son image est projetée sur l’écran de son cinéma, du Führer et de ses hauts dirigeants qui tentent comme des poules sans têtes de fuir le cinéma en flammes, du Lieutenant Raine qui déclare bêtement avoir accompli son chef-d’œuvre en gravant la croix gammée au front du Colonel Landa ou de ce dernier si fier de trahir sa nation, de se faufiler en héro dans le camp adverse et ce, sans remords quant à sa responsabilités pour d’innombrables morts de juifs.

Ce n’est donc qu’au prix d’une horreur égale que le monde peut répondre à celles perpétrées durant la Deuxième Guerre Mondial. Il n’y a plus d’espoir ou de désespoir d’une reconsidération de l’Homme face à ce qu’il peut accomplir de pire mais plutôt une acceptation aveugle de ses pulsions haineuses. Le ridicule qui empreigne le film entier permet par contre de remet ce constat pessimiste en question. Comme pour Kill Bill, qui illustrait dans toute son ambiguïté l’entremêlement des approches constituantes des identités féminines contemporaines, Tarantino représente un monde équivoque qui ne s’entend pas sur une manière de comprendre les horreurs qui ont eu lieu durant cette guerre. Ce monde se partage donc entre des tendances aux accusations simples (incarnées par les inglorious basterds), le ressentiment face aux atrocités perpétrées contre les victimes (véhiculé par Shosanna Dreyfus) ou même la simple acceptation des faits (représenté par le Colonel Landa). Ce qui diffère de Kill Bill par contre est le fait que le point commun où s’incarnait l’ambiguïté véhiculée par le diptyque se retrouvait personnifié par Béatrix Kiddo, déchirée entre les désirs maternels, amoureux et d’autodétermination, alors que dans Inglorious basterds ce même point focal d’ambiguïté est absent du film. Il se déplace dans la salle, sur les spectateurs. Tout le poids de la reconnaissance des ambiguïtés qu’illustre le film repose sur chacun assistant aux projections. Tarantino ne fait donc qu’élaborer cette vision qu’il a eu d’une vengeance œil pour œil sans la justifier ou la condamner. Comme il l’a été pour Kill Bill, il ne semble être qu’un accumulateur des opinions populaires reflétant l’état des choses actuelles. Que Tarantino y soit consciemment responsable ou non, Inglorious basterds met à jour la réalité frustrante du peu d’évolution de l’Homme depuis les atrocités dont il s’est découvert capable durant la Deuxième Guerre Mondiale. À tout et chacun de décider si ça le remue.

Bancs publics (Versailles rive droite) . Bruno Podalylès

Chœur de personnages antihéros. Pas de héros pour un film sans récit, ou presque. Du moins, pas de récit unique et tout-puissant mais plutôt une courtepointe de micro-récits révélant dans l’ensemble toute l’absurdité et la bêtise du quotidien des êtres humains. Bêtise répétée et absurdité omniprésente qui en vient à former une idée cohérente : les hommes et les femmes sont effectivement bêtes et absurde. Il nous reste à choisir ou planer entre l’envie de ce laisser aller à cet état des choses ou d’essayer de garder debout un orgueil humain contre nature.

Seule vraie incohérence du film de Podalydès : la finale heureuse, le nouement de toute les intrigues qui investit une réponse décevante parce qu’on aurait préférée se la construire soi-même, qu’elle y soit identique ou non.

8.13.2009

« Une fois mon premier film terminé, lorsqu’on me demandait de définir le principe qu’il incarnait, je répondais que la fonction du cinéma, de même que celle des autres arts, était de susciter une expérience – »

Maya Deren . Une anagramme d’idées sur l’art, la forme et le cinéma . 1946 .

 

Le CINéMAS d’automne dernier nous offre un article de Julie Beaulieu sur l’œuvre et la pensée de Maya Deren, artiste cinéaste expérimentale. L’approche de Deren du cinéma et des autres arts était autant imprégnée du monde qui entoure qu’elle imprègne, encore aujourd’hui, le monde du spectateur. Œuvres-processus, ses films, ses photographies et ses textes poursuivent inlassablement leur création de sens. Elle a passé plusieurs années en Haïti au milieu des années 40 pour y tourner des images et étudier les rituels vaudous de la région. Elle deviendra adepte de la religion et de ses rituels qui influencent ses films et écrits. Incapable de rendre, par le montage de ses images, la totalité des rituels et de la mythologie vaudou, elle écrit un livre, Divine Horsemen : The Living Gods of Haïti, qui y arrive avec plus d’acuité. Quelques extraits de l’article de Julie Beaulieu /

 

« Sa conception métaphysique de l’artiste magicien, dont les visées créatrices sont similaires à celles du scientifique, combine les éléments du rituel, du mythe et de la danse, dans la représentation filmique aussi bien qu’écrite. La clef de la compréhension du système de représentation derennien réside ainsi dans la relation qu’entretiennent ces éléments entre eux et avec le tout. –

 

« […] l’art primitif, notamment la danse rituelle, dépasse la simple expression égocentrique de l’artiste moderne. La performance que met en scène le rituel vaudou embrasse effectivement une forme de connaissance universelle, qui renvoie à la mythologie et plus largement au spirituel. Le rituel se définit ainsi comme une production de sens et d’affects, mais aussi comme un phénomène culturel (un culte) et esthétique (une forme d’art). –

 

« Sa forte personnalité oscillant entre la figure de l’artiste magicien et celle de l’intellectuel, transparaît dans ses films, ses articles et sa poésie. Peut-être la figure la plus emblématique du personnage mythique réside-t-elle dans ce dédoublement bien connu des trois Deren assises à une même table [Meshes of the Afternoon], image qui symbolise à la fois la poète, la cinéaste et l’artiste anthropologue. Peut-être aussi, et de manière encore plus forte, le mythe prend-il véritablement forme à la frontière du visible et de l’invisible, mythe qu’incarnera plus tard la cinéaste, métamorphosée en une prêtresse vaudou. »

Julie Beaulieu . Ethnographie, culture et expérimentation : essai sur la pensée, l’œuvre et la légende de Maya Deren . CINéMAS vol. 19 / n˚1 automne 2008 .

 

Ses courts-métrages et le montage posthume de son tournage en Haïti [Divine Horsemen : The Living Gods of Haïti] sont disponible chez Mystic Fire Video.


The Witches Cradle, ne se retrouvant pas sur les DVDs, n'est pas aussi complet que ses autres courts-métrages mais communique tout de même très bien avec le reste de son oeuvre. Le voici, en deux parties:




8.12.2009

The foundations of the stereoscopic cinema - Lenny Lipton


À propos du 3D, Bill Krohn interview Lenny Lipton, un théoricien et technicien précurseur du cinéma stéréoscopique (auteur de The Foundations of the Stereoscopic Cinema). Dans les Cahiers du Cinéma n˚647. Le dossier de la revue sur le sujet est révélateur et pique la sensibilité du cinéphile. Aurons-nous des lunettes en tout temps, au cinéma, devant notre téléviseur et l'écran Internet? À lire!

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« […]

L.L. « Le cinéma a toujours été tridimensionnel. Les directeurs de la photographie ont toujours tenté de créer l’illusion de la profondeur sur l’écran plat grâce à la composition, à l’éclairage, à la profondeur de champ. C’est pourquoi le basculement vers la 3D ne constituera pas une rupture dans l’histoire des formes au même titre que le son et la couleur.


B.K. « Mais quand ces innovations ont eu lieu, elles sont devenues irréversibles.


L.L. « Non. Tout ce que l’on considère comme faisant partie du cinéma aujourd’hui – son, écran large, couleur – est apparu et a disparu plusieurs fois avant que l’économie ne l’intègre aux standards. Edison avait expérimenté l’enregistrement son sur un disque phonographique.


B.K. « Et Raoul Walsh a fait un bel usage d’un procédé d’écran large précoce dans La Piste des géants.


L.L. « Et le triptyque du Napoléon de Gance ressemblait beaucoup au Cinérama.


B.K. « André Bazin écrit que ce n’est pas la technologie qui a donné lieu à cette évolution; elle a seulement rendu possible la pleine mise en œuvre de la vision qui lui préexistait – par exemple, le développement des pellicules autorisant la profondeur de champ après l’abandon de la pellicule orthochromatique.


L.L. « Il a peut-être raison, mais ce qui conduit à adopter une technologie, c’est l’économie.

[…] »

8.08.2009


« Publicly funded arthouse cinéma is inherently unprofitable. No-one expects an orchestra, an opéra or ballet company to operate on a profitable basis; if the moving image is to be considered a serious art form, arguably the most vital of modern art forms, then why should the criteria be any different? In fact most national funding bodies accept this reality quite readily. »


Thomas Clay . en entrevue pour S&S . juillet . 


Il faut pour autant que les créateurs s’y mettent tous d’aplomb, sans s’attendre les subventions. Si l’aide doit venir d’un État, il faut qu’il soit évident qu’elle soit nécessaire pour tous. On doit pouvoir tous reconnaître que ces images en mouvements sont essentielles, profitables.