4.25.2010

Sur la critique

Nouvelle plateforme web, pour le magazine Panorama. Nouvelle initiative : un podcast. Premier sujet très intéressant : l’état de la critique. À écouter.

La définition de la fonction de la critique y reste toujours insaisissable. Marcel Jean arrive à relever un élément de définition concret. Il parle de la légitimité du cinéma qui se manifeste d’abord par le discours critique (le cinéma comme attraction de foire devient un art, les films d’Hitchcock et Hawk deviennent œuvres de grands auteurs). Un cinéma légitime, c’est un média qui se donne le droit d’exister au-delà de la salle obscure. Aussi, la critique, le commentaire réfléchi sur le cinéma, participe au cinéma, le fait, autant que le film se fait en images et en sons. Barthes écrivait, dans Système de la mode, que la mode - telle qu’il pouvait l’analyser sémiologiquement, et telle qu’il su ensuite qu’elle s’incarnait d’abord et vraiment - se retrouvait sous la forme écrite.

4.24.2010

Performance / Karl Lemieux, Radwan Ghazi Moumneh et Nadia Moss



Pendant quinze minutes, à l’intérieur et sur le rebord de la terrasse du Café-bar de la Cinémathèque québécoise, les gens ne savaient plus où donner de la tête. D’un côté ou de l’autre. Sur l’écran ou vers Karl Lemieux, manipulant trois projecteurs 16mm et de la pellicule, à l’arrière de la salle. C’est qu’en regardant la projection de ces images en noir et blanc – en voyant le cadre sursauter avec fulgurance, les différentes séquences se superposer et les bulles blanches gonfler et déformer les photogrammes – l’envie de comprendre ce qui se passe pousse à regarder du côté obscur de la salle.

Résultat : une danse de têtes tournantes, un ensemble de personne qui se trouve soudainement et consciemment submergé dans le cinéma. La musique de Radwan Ghazi Moumneh et Nadia Moss happe la peau, redouble les limites circonscrites par le dispositif projecteurs/écran. Ce n’est pas tant une nouvelle expérience qu’une révélation. Au moment même, des milliers de personnes vivaient le même effet submersif dans les bars sportifs de la ville. Rien à voir non plus avec la prise conscience. On a beau observer le projectionniste s’activer ou creuser dans l’image projetée et altérée, ce qui est mis en scène ne se rationalise pas mais se heurte à la présence des spectateurs, à leur rapport quotidien au monde. Les premiers spectateurs de cinématographe s’émerveillaient du feuillage agité des décors naturels, alors qu’ils pouvaient en observer à leur gré à tous les jours. Ce qui est révélé, mis en scène, c’est le dispositif commun qui nous permet de reconnaître ce qu’on appelle la réalité.

Les images choisies par Lemieux rappelaient d’ailleurs un thème populaire des films des premiers temps du cinéma : l’intervention des pompiers lors d’un incendie. La musique en salle ne manquait pas de renforcer l’idée d’une projection du début du siècle. Mais c’est le feu, qui s’attaque d’abord à une maison, et ensuite à la pellicule 16mm, qui permet une transcendance de la représentation vers une présence incarnée du sujet. Lemieux amplifie les qualités iconiques des images cinématographique : il ne s’agit pas simplement d’images du feu, il s’agit du feu lui-même.

Et la pellicule, après la projection, a toujours la même fonction mais a renouvelée sa peau. Elle porte toujours les traces de la présence du feu.

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la Bande des 16 / pour suivre leur programmation.

4.16.2010

4.08.2010

Notes de projection – La donation / 8.3.10

« C’était lors d’une projection spéciale du Ciné-Club de Laval, à la Salle André Mathieu. On avait projeté le film La donation de Bernard Émond. Il était présent dans le hall, à l’extérieur de la salle, pour répondre aux questions des spectateurs à la fin du film. On avait installé une petite plateforme sur laquelle était posée une table nappée et deux chaises pliantes noires. Deux micros étaient soutenus sur pieds, au-dessus de la table. Un pour l’animateur, un pour l’invité.

Beaucoup de gens assistèrent à cette rencontre. Une bonne partie de l’assistance étaient des étudiants du collège qui devaient probablement tous avoir à remettre un travail à propos du film dans les jours qui allaient suivre *1*. Mais ils n’étaient absolument pas les seuls à s’interroger à propos du film.

Une femme, dans la quarantaine, levant la main, n’était pas certaine de comprendre ce qui tenait du don dans ce qui arrivait au personnage à l’écran. Dans toute sa perplexité, elle avait beaucoup apprécié le film, mais elle y voyait plutôt de la résignation. Il y était question d’une femme se voyant offrir de remplacer le docteur d’un village isolé de l’Abitibi. Émond lui expliqua simplement qu’il ne s’agissait pas du tout d’une défaite, lorsqu’elle décidait de rester. C’était plutôt un don d’une valeur inestimable. Une chance de s’accomplir personnellement. Il était clair que, pour lui, son film est une critique du désengagement de chacun au profit d’un individualisme néfaste.

Bien qu’il n’en soit pas question dans le récit, Émond utilise l’imagerie chrétienne pour la rappeler à l’esprit et réaffirmer importance de la religion dans la continuité de la collectivité québécoise depuis ses origines – outre la langue.

Un autre homme, dans la cinquantaine, se leva, au contraire de tous les autres intervenants. Il se frottait les mains l’une sur l’autre. D’un ton affirmé, il commença ainsi: Bonsoir M. Émond. D’abord, félicitation pour votre film. Il poursuivit rapidement en disant à peu près ceci : Vous parliez tout à l’heure de l’affirmation de la culture québécoise. Il en est évidemment question tout au long de votre film. Ne croyez-vous pas par contre vous contredire en utilisant le ton pieux qu’on y retrouve, ou en faisant allusion à la religion chrétienne? Madame parlait de résignation tout à l’heure. Il me semble en effet qu’il en soit question au bout du compte.

Je ne me souviens plus de la réponse de M. Émond. Tout ce dont je me rappelle, c’est la fébrilité de la voix de l’homme. Il était décidé à reprocher au réalisateur de vouloir raviver le contact de ses spectateurs de la culture religieuse québécoise. Mais il avait aussi utilisé tout le respect de quelqu’un qui admire son interlocuteur. Il ne faisait aucun doute pour moi que cet homme avait été profondément touché par ce film. Ses mains s’agitaient. Il sembla perdre l’équilibre un moment, quand M. Émond voulu répondre probablement. Sa voix se voulait ferme, mais elle doutait. Malgré toute ses convictions. »


[1] Une quinzaine de ces étudiants n’avaient d’ailleurs cessé de lancer des rires incongrus tout au long du film. Ceux qui ont vu le film doivent se demander ce qu’ils pouvaient bien trouver de si drôle. Il était question d’un boulanger, visiblement amoureux d’un personnage principal du film, lui offrant une baguette bien fraiche. Toutes les allusions au pain et à sa consommation qui ont suivies ont provoqué les ricanements des étudiants. J’avais compris qu’ils voyaient dans ces répliques des analogies avec l’expression : « Mange mon pain » qui, dans la culture adolescente contemporaine, signifie quelque chose comme : « Suces-moi ». Je n’ai rien contre les réactions spontanées durant une projection, qu’elles soient convenues et partagées ou non, mais leurs rires créaient malaise dans la salle. J’ai de la difficulté à en expliquer l’origine réelle.