11.11.2009

Irène . Alain Cavalier


Alain Cavalier se pose en explorateur dans son dernier film. Explorateur de ses propres souvenirs de sa femme décédée lors d’un accident de voiture plus de 35 ans auparavant. Que ce soit par le biais de du journal qu’il a tenu les deux années avant le drame ou dans les lieux qu’ils ont habités ensemble, le film est un long processus de recherche de ce temps perdu, celui vécu comme celui qui n’a pu l’être. 

Alain Cavalier est un explorateur du processus de fabrication d’un film. Caméra vidéo à la main, il se présente seul aux spectateurs. Il chuchote le défilement de ses pensées, des passages de son journal, des descriptions des lieux qu’il nous fait visiter et les rapports d’événements du passé. Son film sur Irène, il en parle comme d’un autre film que celui auquel on assiste. Il se demande à plusieurs reprises s’il ne devrait pas le laisser tomber, changer d’angle d’approche. Nous assistons aussi à des révélations. L’enthousiasme est vivement ressenti lorsqu’ nous parle de sa naissance et de l’avortement d’Irène à l’aide d’une pastèque, un œuf et une pince de cuisine. C’est une libération plutôt qu’un réel ressentiment qui surgit finalement lorsqu’il trace les traits plus sombres du portrait de sa femme – il lit dans son journal : « Ne peut-elle pas simplement mourir? » – puisqu’ils se révèlent, autant pour le réalisateur que pour les spectateurs, être les traits les plus sensibles et les plus humains, les plus appréciables, de cette femme disparue. À trop vouloir s’en rappeler en bien, le personnage d’Irène devient intangible, inintelligible – infilmable, comme s’en rend compte Alain Cavalier – et sa disparition ne fait que devenir plus insoutenable. Et le plus cruel du souvenir d’un être disparu apparaît en même temps comme un soulagement : on ne voudrait pas se remémorer les côtés sombres du défunt, en garder un portrait intact, mais la perte est plus tolérable lorsqu’on les tient en compte. C’est ce portrait final, que ni lui ni le spectateur pouvait envisager au début de la projection, qui fini par faire d’Irène, sans l’ombre d’un doute maintenant, un film, un vrai.

Alain Cavalier est aussi explorateur de l’intimité comme fonction propre au cinéma. Il se rend aux confins des possibilités de cette forme d’art paradoxale : à la fois média de masse et œuvre en lien direct, unique et privilégié avec son spectateur. Son film est en danger tout au long de la projection, non seulement par ses propres tentations de tout abandonner mais surtout parce qu’il risque à tout moment de ne rester que des traces vidéographiques éparses telles une vidéo rapportant des vacances familiales. Ce genre de vidéo nécessite un commentaire du vidéaste, faisant le lien entre les images et avec les spectateurs. C’est précisément ce que fait Alain Cavalier en voix off, révélant un mécanisme somme toute propre à tout film : outre le fait de montrer en image, il faut aussi que le film se raconte au spectateur. Il se raconte normalement sans se dévoiler, en laissant au spectateur l’impression qu’il participe à la construction du film. C’est dans cette limite entre le dévoilement du boniment du réalisateur et l’espace laissé au spectateur pour participer à la construction du personnage d’Irène que ce situe tout le danger du film et l’agilité et la grâce d’Alain Cavalier.

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