Le dernier film de Spike Jonze permet – comme rarement auparavant – une immersion totale du spectateur. À l’ère des grands déploiements numériques peu de cinéastes arrivent à tirer une vision cohérente et constructive des nouvelles technologies que peut s’offrir le cinéma du 21e siècle – pensons aux films récents de Burton, Gilliam et Coppola, pour ne s’en tenir qu’au plus connus. Jonze propose toutefois une œuvre fraichement originale et en plus, au contraire des autres réalisateurs cités, d’une sincérité gracieuse, enlevante. L’éclat des prouesses numériques n’y est en aucun cas en vedette. La carcasse numérique n’a pas été abandonnée sur l’écran sans être animée d’une personnalité concrète – au contraire d’Avatar, film aussi immersif, sorti la même date en France. Le tout est sous-tendu par un discours double sur la connaissance de soi et le désir de maîtrise de soi-même – ce « soi » pouvant tout autant être celui d’un petit garçon – Max – que celui du cinéma numérique.
Les effets numériques sont admirables, pas révolutionnaires dans leur rendu technique mais présentés d’une manière peu commune. Ils ne sont pas le clou du spectacle. Ce qui leur permet de passer presque inaperçus est le maniement à l’épaule de la caméra. L’accent est ainsi posé sur une idée fugitive du réel : la mise au point n’est pas toujours nette et les difficultés parfois apparente à suivre les sujets. L’image n’est pas complètement travaillée ni détaillée comme nous y ont habitués les films numériques à grand déploiement – l’exception de Cloverfield nous traverse par contre l’esprit. Les prouesses des effets spéciaux sont d’ailleurs présentées de manière tout à fait originale et humble. Les monstres n’ont pas de pouvoirs spéciaux leur permettant de faire des actions extraordinaires – lire : possibles qu’avec des effets numériques. Ils sont plutôt des bêtes sauvages qui se jettent l’une sur l’autre, se cognent contre les arbres ou se fracassent contre des parois rocheuses. Le travail d’effets spéciaux et de création d’un univers nouveau est modeste, prudent et parfaitement maîtrisé. Les créateurs se sont bien appliqués à développer ce qu’on semble laisser trop souvent de côté : les corps. Comme pour se débarrasser de tout superflu et arriver au meilleur résultat en tentant de maîtriser ces nouvelles technologies numérique. Tous les personnages évoluent dans un décor réaliste – une sorte de forêt, la mer, un désert parfois – mais ils sont pour leur part extrêmement originaux : on a rarement vu de tels monstres au cinéma.
Ce qui contribue d’abord à la réussite de ces créatures numériques est d’abord la qualité de leur personnalité et de leur psychologie. Encore une fois, ils ont été pensés avec retenue et efficacité. Chaque monstre représente une facette émotive humaine isolée. Au lieu d’ambitionner à créer une culture entièrement différente à ces personnages – et de risquer de tomber dans le piège d’un exotisme conventionnel, ils se rattachent à des formes humaines d’émotions, poussées à leurs paroxysmes. S’ils ont des corps presque entièrement inattendus – leurs visages sont humains : vecteurs des émotions – leur personnalités rappellent justement que le point de référence de ces inventions imaginaires restera toujours l’homme. Et ce point d’appui permet justement de reconfigurer, comme il l’est fait avec leur physique, les contours de notre squelette émotionnel. Le propos du film tient justement dans se rapport entre les corps et les émotions : ces dernières apparaissent comme des monstres à diriger de force – par le mensonge et la croyance entre autres – alors qu’elle n’ont cette apparence effrayante et étrangère que parce que justement on ne veut pas les percevoir comme humaines.
Le périple de Max prend donc la forme d’une fable sur la reconnaissance de ses propres émotions et sur la manière de les maîtriser. De la même manière, le film se pose comme un travail semblable d’exploration des possibilités des effets d’animation numérique et de la manière de les faire prendre l’espace qui leur convient sur l’écran. Rien ne sert de les prendre d’assaut ou de les faire mentir – les effets spéciaux sont autant faits pour recréer le réel que Max est le roi de tous ces monstres, ils ont une place qui reste à déterminer et ils faut les comprendre pour qu’ils s’expriment à leur meilleur.
22h00 - 22.12.09 - MK2 Odéon - Paris
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