3.22.2010

Shutter Island - Martin Scorsese

Vibrant voyage dans les encombres de la fiction et du mensonge – mais surtout de la recherche de vérité – le dernier film de Scorsese est une attraction avant tout. Le maître américain se frotte aux effets spéciaux numériques d’une manière tout à fait originale. Il les approche dans toute leur facticité – ce qui est inusité pour une superproduction – et rappelle, à sa manière, à quel point rien au cinéma n’est tant transformé par ces nouvelles technologies. Les écrans verts remplacent les découvertes. Tout ce factice appuyé permet un recul du spectateur face au dispositif cinématographique, sans pourtant qu’il cesse d’y croire. En fin de conte, le spectateur est un peu embêté de s’être fait avoir aussi facilement – tant d’indices! tous ces faux raccords discrets ! – mais tout de même, quel casse-tête captivant ce fût!

Sur une autre facette, Shutter Island se termine sur une conclusion ambiguë. Teddy Daniels préfère être exécuté pour ne pas vouloir démordre du mensonge qui le condamne – mensonge qui lui permet de mourir en tant que victime héroïque d'injustice – plutôt que de rester vivant et supporter le poids de son crime, toute l’horreur de la réalité. Dans le contexte historique du film, l’après deuxième guerre mondiale, cette conclusion peut prendre une ampleur terrifiante. Il est d’ailleurs question du dégoût de la bombe, de l’Holocauste juif et de toutes les horreurs de la guerre, dans les délires de Teddy. Le rejet final de la réalité se pose-t-il comme une analogie au rapport des hommes aux crimes dont ils ont été responsables durant la guerre 39-45? Ce propos n’est pas du tout pointé par Scorsese. Il tient plutôt de la déduction. Il est du moins laissé au soin du spectateur de décider de ce que Teddy à raison ou non. Mais, comme dit plus haut, on a eu plus envie d’y croire que de dénoncer l’artifice. Troublant.

2 commentaires:

  1. L. G.5.4.10

    Votre réflexion sur la vérité est très pertinente. Non seulement elle s’impose à travers les effets spéciaux, mais elle va de pair, de manière existentielle, avec le médium en soi, de là toute sa force. Ce médium si épatant dès son invention parce qu’il représentait le vrai, sans l’intervention humaine, utilisé ici pour jouer sur cette frontière même. Cette problématique de la représentation rythme à la fois la narration de manière un peu facile, mais donne le ton à une esthétique intéressante. Aussi, la suite de votre réflexion pourrait être mise en parallèle avec les écrits de Foucault, plus particulièrement Surveiller et Punir. Les lieux dans les rêves du personnage sont plus près de la réalité que le lieu de la prison même, tout en relevant chacun du délire même. La prison comme hétérotopie est l’une des assises théoriques les plus présentes dans le film, peut-être avec la théorie du trauma de Freud ou encore du manque. Toutefois, c’est tout son discours sur le pouvoir qui est vraiment la plus proche de l’idée même du film. L’étude qui y est faite de la discipline suit cette même évolution historique qui commence par le corps, puis, par le mental. Le transfert du supplice public à l’enfermé dans une société disciplinée colle avec le propos du secret / mensonge du scénario. La surveillance est au centre de cette déconstruction du système pénitencier chez Foucault et chez Scorsese. Ce n’est plus un société du spectacle à la Debord, et pourtant, c’est à la fois ce qu’est le cinéma. De là la problématique mise de l’avant avec ce parallèle entre le médium, son désir de vérité, et ce que le film recherche. Le pouvoir chez Foucault n’est plus une instance centralisée, mais un ensemble de forces multiples qui circulent dans tout le tissu social, même dans l’intimité de notre maison, dans notre tête. Ce n’est pas une instance répressive, qui procède par obligations et interdits, selon le modèle de la loi, mais souvent un ensemble de forces incitatives, qui procèdent selon diverses techniques corporelles et dispositifs de savoir, selon le modèle de la norme. Ce n’est pas tant un code ou un comportement imposé de l’extérieur sur soi, mais une forme de subjectivation, constituée de l’intérieur, en soi, et par soi, et qui sont souvent des formes d’assujettissement d’autant plus efficaces qu’elles sont insidieuses. Bref, c’est une réflexion intéressante à développer, écrivez-moi si vous cela vous intéresse…

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  2. Votre allusion aux concepts de Foucault est tout à fait juste. Aussi - peut-être l'avez-vous omis parce que trop évident - la salle de cinéma apparaît vraiment comme une extension de l'île de fous comme "hétérotopie de déviation". Ce qui est d'abord entendu comme une légère déviance tolérée par le corps social - "Le cinéma, ce n'est pas la réalité" - isolée dans un lieu circonscrit - la salle de cinéma - remet en fait en question, par sa liberté face aux normes sociales, ces forces initiatives constitué de l'intérieur du spectateur, qu'elles soient d'abord de l'ordre des conventions cinématographiques et ensuite étendues vers de plus larges sphères de connaissances.
    Aussi déstabilisé soit le personnage par les fous qui peuplent Shutter Island, autant il doit convenir de force, contre lui-même, qu'il leur est fondamentalement égal, peu importe son bon entendement.
    Ainsi, le spectateur est en lutte directe avec ce lieu hétérotopique qui confronte sa réalité - dont il ne "devrait" pas être question, puisque ce "n'est que du cinéma" - en dévoilant ces mécanismes personnels régularisants qui l'assujettissent à son insu, que ce soit dans la salle où dans la rue.
    N'avez-vous pas d'ailleurs ressenti ce sentiment de fatigue physique à la suite du film? Peut-être débordons-nous alors du rationnel pour tomber dans l'impression, mais ce sont souvent des impressions qui pistent sur les idées claires et justes...

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