« C’était lors d’une projection spéciale du Ciné-Club de Laval, à la Salle André Mathieu. On avait projeté le film La donation de Bernard Émond. Il était présent dans le hall, à l’extérieur de la salle, pour répondre aux questions des spectateurs à la fin du film. On avait installé une petite plateforme sur laquelle était posée une table nappée et deux chaises pliantes noires. Deux micros étaient soutenus sur pieds, au-dessus de la table. Un pour l’animateur, un pour l’invité.
Beaucoup de gens assistèrent à cette rencontre. Une bonne partie de l’assistance étaient des étudiants du collège qui devaient probablement tous avoir à remettre un travail à propos du film dans les jours qui allaient suivre *1*. Mais ils n’étaient absolument pas les seuls à s’interroger à propos du film.
Une femme, dans la quarantaine, levant la main, n’était pas certaine de comprendre ce qui tenait du don dans ce qui arrivait au personnage à l’écran. Dans toute sa perplexité, elle avait beaucoup apprécié le film, mais elle y voyait plutôt de la résignation. Il y était question d’une femme se voyant offrir de remplacer le docteur d’un village isolé de l’Abitibi. Émond lui expliqua simplement qu’il ne s’agissait pas du tout d’une défaite, lorsqu’elle décidait de rester. C’était plutôt un don d’une valeur inestimable. Une chance de s’accomplir personnellement. Il était clair que, pour lui, son film est une critique du désengagement de chacun au profit d’un individualisme néfaste.
Bien qu’il n’en soit pas question dans le récit, Émond utilise l’imagerie chrétienne pour la rappeler à l’esprit et réaffirmer importance de la religion dans la continuité de la collectivité québécoise depuis ses origines – outre la langue.
Un autre homme, dans la cinquantaine, se leva, au contraire de tous les autres intervenants. Il se frottait les mains l’une sur l’autre. D’un ton affirmé, il commença ainsi: Bonsoir M. Émond. D’abord, félicitation pour votre film. Il poursuivit rapidement en disant à peu près ceci : Vous parliez tout à l’heure de l’affirmation de la culture québécoise. Il en est évidemment question tout au long de votre film. Ne croyez-vous pas par contre vous contredire en utilisant le ton pieux qu’on y retrouve, ou en faisant allusion à la religion chrétienne? Madame parlait de résignation tout à l’heure. Il me semble en effet qu’il en soit question au bout du compte.
Je ne me souviens plus de la réponse de M. Émond. Tout ce dont je me rappelle, c’est la fébrilité de la voix de l’homme. Il était décidé à reprocher au réalisateur de vouloir raviver le contact de ses spectateurs de la culture religieuse québécoise. Mais il avait aussi utilisé tout le respect de quelqu’un qui admire son interlocuteur. Il ne faisait aucun doute pour moi que cet homme avait été profondément touché par ce film. Ses mains s’agitaient. Il sembla perdre l’équilibre un moment, quand M. Émond voulu répondre probablement. Sa voix se voulait ferme, mais elle doutait. Malgré toute ses convictions. »
[1] Une quinzaine de ces étudiants n’avaient d’ailleurs cessé de lancer des rires incongrus tout au long du film. Ceux qui ont vu le film doivent se demander ce qu’ils pouvaient bien trouver de si drôle. Il était question d’un boulanger, visiblement amoureux d’un personnage principal du film, lui offrant une baguette bien fraiche. Toutes les allusions au pain et à sa consommation qui ont suivies ont provoqué les ricanements des étudiants. J’avais compris qu’ils voyaient dans ces répliques des analogies avec l’expression : « Mange mon pain » qui, dans la culture adolescente contemporaine, signifie quelque chose comme : « Suces-moi ». Je n’ai rien contre les réactions spontanées durant une projection, qu’elles soient convenues et partagées ou non, mais leurs rires créaient malaise dans la salle. J’ai de la difficulté à en expliquer l’origine réelle.
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